Baron Noir : une tragédie du pouvoir

différentes séquences de la série Baron noir

Selon Artistote, « l’Homme est par nature un animal politique ». Surtout quand il s’appelle Philippe Rickwaert. Le héros de la série Baron Noir signée Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon s’impose comme un Machiavel moderne, donnant à voir, au fil de ses aventures pour le moins trépidantes, un paysage politique hexagonal sismique. Jusqu’à la nausée. Jusqu’aux larmes.

Une élection qui sent le souffre

Philippe Rickwaert donc (Kad Merad, exceptionnel de naturel et de tension) : un vieux de la vieille, un militant socialiste impliqué, issu du milieu ouvrier pour se hisser progressivement dans les hautes sphères du pouvoir jusqu’à devenir le conseiller occulte de Francis Laugier (Niels Arelstrup, magistral), qui lui doit en grande partie son élection à la présidence. Une élection qui sent le souffre : détournement de fonds, manipulations en tous genres. Rickwaert ne recule devant rien pour protéger son ami lorsque tout déraille, que les accusations pleuvent, que la Justice s’en mêle. Quitte à y laisser sa liberté et peut-être son âme ?

Trois quinquennats, deux présidents, des campagnes politiques pour les municipales, les législatives, les européennes, une dissolution, une nouvelle campagne présidentielle sur le fil du rasoir avec le FN en embuscade, pire encore, il faudra bien ça étalé sur trois saisons pour que Rickwaert le baron noir sorte de son purgatoire et impose ses vues, son programme, sa vision d’une France unie tournée vers l’avenir et les valeurs de tolérance et d’échanges. Véritable pitbull, Rickwaert ne lâche jamais malgré les coups tordus qu’on lui assène et qu’il rend sans scrupules (quand il ne prend la main en premier dans ce gigantesque poker menteur).

Les coulisses de la realpolitik

Car la politique est un sport de combat. En état de crise permanent, Rickwaert, ses amis, ses ennemis, n’ont guère le temps de souffler. Toujours avoir un coup d’avance, le sens de la réactivité et de l’adaptabilité, pour ne pas dire de l’agilité : les coulisses de la realpolitik nous sautent au visage ; les idéalistes aux mains propres sortiront de l’expérience avec des bleus au moral, et l’obligation de relire Le Prince d’urgence. Tout en se rappelant les règles du jeu démocratique, constamment mises en péril par l’extrême droite, qu’elle affiche le visage d’un parti reconnu ou d’un youtubeur complotiste qui va jouer les trouble-fête.

Avec un fil directeur, ténu, mais solide : tous ceux que nous voyons s’agiter sur cette scène politique offerte en pâture au public par médias dévorateurs interposés, tous veulent défendre leur vision du monde et de la France. Avec plus ou moins d’ego, de distance, de dérapage et des orientations parfois opposées, pour ne pas dire antagonistes. Mais qu’en est-il exactement quand il s’agit de servir le pays et son peuple ? Quand il s’agit de se projeter dans l’avenir, d’envisager ce que sera notre pays dans 10, 15, 50 ans ?

Antigone à l’Elysée

C’est là qu’intervient le personnage à mon sens central de cette épopée : Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis, à couper le souffle, d’élégance, de fermeté, de volonté), première femme présidente, qui manœuvre sans cesse pour déstabiliser ses détracteurs (et ils ne manquent guère), amenée à prendre des décisions difficiles, parfois cruelles, toujours pesées et réfléchies, pour protéger son pays et le faire avancer. Au service de l’État, quoi qu’il advienne, et jusqu’à l’ultime sacrifice. Ce personnage aux allures d’Électre ou d’Antigone, élève Baron Noir au rang de tragédie.

Grecque ou shakespearienne, c’est selon. Mais il est indéniable que l’odyssée de Rickwaert n’est rien sans la présence obsédante de cette femme de pouvoir, totalement investie par la grandeur de sa fonction, les privations et l’abnégation qu’elle impose. Ce cheminement sur des routes escarpées plus semées d’épines que de roses est obscurci par une violence latente qui ne demande qu’à exploser de la plus odieuse des manières, avec des visages différents, mais toujours odieux. C’est aussi l’enseignement de la série. Et son avertissement.

Et plus si affinités ?

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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