Ouais, je le reconnais, le titre est un peu racoleur, mais il a le mérite d’être clair, tout en étant incomplet et un brin faussé. Car cela fait plusieurs années que les festivals rament pour s’en sortir. Concurrence, COVID, réduction des subventions et des aides, être directeur de festival n’a jamais été un long fleuve tranquille. Aujourd’hui, avec la crise climatique qui nous pète à la figure, c’est désormais un chemin de croix en pleine tempête. Explications.
Les problèmes habituels rencontrés par les festivals
Comme je le disais en intro, gérer un festival n’est jamais un long fleuve tranquille. Qu’il s’agisse des Vieilles Charrues, des Eurockéennes, de Rock en Seine, de Woodstower, du Hellfest, des chorégies d’Orange… le responsable de ce genre de barnum sait qu’il va devoir affronter bien des problèmes et qu’il a intérêt à pratiquer un chouia de yoga pour rester zen. Passons sur les questions de programmation, de financement, de fournisseurs, casse-tête habituel pour boucler une affiche qui attirera les spectateurs et fera rentrer des sous dans la caisse. Les équipes qui drivent les festivals sont formées de pros qui savent y faire et qui aiment ça.
- Cela se corse quand il s’agit de recruter des bénévoles, bénévoles qui assurent le bon fonctionnement de l’événement, entre accueil du public, des artistes, running, gestion des loges, du katring, sécurité… 1700 bénévoles pour gérer le festival Interceltique de Lorient, 500 pour Les Nuits secrètes… Selon le mag Sourdoreille, en 2019, ils étaient 7158 pour 280 000 festivaliers. Il faut pouvoir les trouver, et déjà, les réseaux sociaux des festivals se hérissent d’appels au bénévolat.
- Il y a les dysfonctionnements techniques bien entendu (panne de secteur, équipement qui lâche, sous-traitant qui merde) et les problèmes humains (caprices de stars, annulation liée à la santé de l’artiste, ou groupe qui splite au moment de passer sur scène, merci Oasis qui a eu la bonne idée de se crasher juste avant son concert à Rock en Seine (la team du festival en a gardé un très mauvais souvenir).
- Autre cauchemar du directeur de festival, les aléas climatiques. Orage, tempête, coup de vent, tout ce qui va transformer l’endroit en étang avec risque d’effondrement des scènes, impossibilité de jouer, courant coupé, bref la totale et merci Sainte Rita quand il n’y a pas de blessés(du vécu, nous avons encore en mémoire un orage d’anthologie survenu sur Les Eurockéennes, durant lequel l’espace presse s’est transformé en piscine).
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Les problèmes à venir… s’ils ne sont pas déjà là !
Gérer un festival n’est donc pas un long fleuve tranquille. Mais avec la crise du Covid, les choses se sont bien bien corsées. En 2020, les annulations ont laissé un trou dans la caisse festivalière hexagonale de 2,6 milliards d’euros selon Les Echos, avec à la clé une filière sinistrée. En 2022, le public revient progressivement, malgré des tarifs en hausse, des programmations plus ternes, mais l’écart se fait toujours sentir, avec bon nombre d’évènements perdus corps et âmes, d’autres rachetés par des grands investisseurs à l’affût.
Quid alors de l’été 2023 ? Menaçant à plus d’un titre :
- Il va falloir anticiper la hausse des températures : on ne peut plus jouer les autruches, période estivale = canicule, avec des montées à 45° et plus si affinités. Et les festivals en plein air ne sont absolument pas équipés pour faire face. Pas d’ombre, pas d’infrastructures adaptées : en juin 2022, sous un soleil de plomb, les unités de secours du Hellfest ont dû prendre en charge quelque 800 personnes terrassées par la canicule dont une quinzaine a fini hospitalisée. Un exemple parmi tant d’autres.
- Un exemple éclairant. Pour rafraîchir les festivaliers, les pompiers du coin les ont arrosés à grand coup de lance canon :11 000 litres d’eau pour une douche collective certes très marrante, mais qui l’est beaucoup moins quand on sait les restrictions subies par les populations locales en période de sécheresse. Rappelons qu’à l’heure où j’écris ces lignes, de nombreuses communes partout en France ont épuisé leurs réserves d’eau et doivent être ravitaillées. Des maires refusent les permis de construire des piscines, de nouvelles habitations, ne voulant pas augmenter une population qu’ils ne peuvent plus abreuver. Vu ce contexte dramatique, il va être difficile de faire avaler à des habitants sans eau courante depuis des jours, à des agriculteurs qui ne peuvent plus arroser leurs cultures qu’on douche abondamment les fêtards venus pogoter dans le festival d’à côté.
- Ajoutons à cela la hausse drastique des notes d’électricité. La problématique énergétique n’est pas nouvelle : déjà au XVIIeme siècle, Molière peinait pour payer les bougies nécessaires afin d’éclairer un spectacle. Aujourd’hui, un festival doit assurer l’éclairage des scènes, des installations, des loges, la sonorisation, la ventilation, la restauration, le transport. Selon l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, un event avec une jauge de 1 000 personnes va consommer 200 KWh d’énergie, soit 3 ans d’éclairage avec une ampoule de 15W. Ce n’est pas rien, et déjà, on voit les salles d’opéra (Rouen, Rhin, Montpellier-Occitanie) multiplier périodes de fermeture et annulation de représentations pour faire face à l’explosion de leur facture énergétique. Les festivals n’y échapperont donc pas.
C’est pitié, car cela va se répercuter sur le prix de billets déjà en hausse, tout en impactant les postes de dépense dédiés à la protection de l’environnement. Beaucoup a été fait déjà pour réduire l’empreinte carbone de ces événements d’envergure : toilettes sèches, alimentation végane, diminution des déchets, sensibilisation du public… cela fait plusieurs années que les festivals se mobilisent pour faire bouger les choses. Mais désormais, à l’heure de la raréfaction des énergies et de l’eau, de la hausse des températures, il va falloir beaucoup plus que des toilettes sèches pour gérer cette mutation de fond et inventer le festival de demain.