Reflet d’artiste (brut) / Les Ramoneurs de Menhirs : des bardes dans un champ de coton

Ramoneurs de menhirs / extrait d’interview

Eric : »Obélix il est gay ! »
Loran : « Mais non il est amoureux de Falbala ! »
Delphine : « Pfff mais Falbala est transexuel ! »

Ambiance …

Merci le dérushage, 50 minutes d’interview en mode bordel, je suis ravie, les Parabellum m’avaient pourri mes questions en ¼ d’heure, pour les Ramoneurs il aura fallu 5 minutes. On s’améliore ! Il faut dire que c’est du très lourd que j’ai devant moi ce vendredi 22 mars 2013 : les Ramoneurs de Menhirs, une légende née de celle des Béruriers noirs, deux parcours entrelacés pour le meilleur de la scène alternative hexagonale.

Et devant moi :

  • Le guitariste Lorran Béru, ses dread, son kilt, ses airs de chaman punk et ses paroles de nomade libertaire sans dieu ni maître, pas de laisse, pas de collier ;
  • Les deux sonneurs, Eric Gorce, la force tranquille, l’impassibilité bonhomme et souriante, sûr de lui, et Richard Bévillon, silencieux, observateur, le calme avant la tempête ;
  • Maurice Jouanno, conteur, chanteur, au regard scrutateur, amoureux de la culture bretonne au point de l’enseigner quand il ne la scande pas sur scène.

Je viens de les voir répéter sur la scène du Sub, salle des musiques actuelles de Vitry où ils se produisent ce soir. Concentrés, posant les balances sous les directives de Laurent leur ingé son.

Un membre du groupe à part entière, punk à crête, un côté du crâne tatoué d’un pelage de léopard, qui a sonorisé moult festnoz, pour qui les fréquences des bombardes et binious n’ont pas de secret. Le son des Ramoneurs, c’est lui, tandis que Julie, la discrète araignée, s’affaire à tout organiser en bonne manageuse qu’elle est, dans l’ombre. C’est elle la 6eme roue du carrosse menhirien (il faut bien 6 roues pour faire avancer ce bel attelage), et non des moindres puisqu’elle s’occupe d’entretenir les réseaux humains, ce tissage de connexions qui permet au groupe de tourner un peu partout en France et en Europe, avec une assiduité et un succès enviables en ces temps de vaches maigres pour le secteur musique. Un amour, cette nana (comme les 5 autres du reste), que je verrai gérer la scène quelques heures plus tard, s’activant autour des micros et baffles retour qui déconnent par moment, tandis que ses quatre petits camarades s’ingénient à foutre un bordel monumental devant une salle survoltée, défoncés qu’ils sont par une véritable transe. Un truc incroyable que de voir Richard décoller en direct live, bondissant comme un ressort tandis qu’Eric traverse le plateau avec la démarche d’un tigre slalomant doucement vers sa proie, avec au fond Maurice entamant une gavotte frénétique. Au finish Loran semble le plus sage des quatre (et ce n’est pas peu dire, vu qu’il paraît se dédoubler au fur et à mesure qu’il joue, chante, hurle, hullule).

J’avoue avoir été impressionnée par la chose, une véritable séance de frénésie collective, avec un public composé de punks, de bretons du coin venus en force, mais où l’on trouve également des nanas dansant à l’orientale. Cathartique melting pot de cultures et de générations, jusqu’à ces deux petits gamins que le groupe accueille sur scène et qui arborent fièrement kilt et doc montantes (je confesse avoir ressenti une quasi fierté de maman qui s’ignore en les voyant, ces deux pitounes là). C’est que les enfants, ça compte dans la geste des Ramoneurs, qui oeuvrent à transmettre le patrimoine culturel punk/rebelle/breton aux générations futures tout en faisant le bonheur des anciennes. J’apprécie d’autant plus la chose que j’en connais les mécanismes au moment où rugissent les premières mesures de « Vive le feu ! ». C’est, on peut le dire sans trop se planter, de là qu’est née la belle histoire, de ce final incendiaire où bombardes et cornemuses s’ajoutent aux accords de guitare rageurs et saturés pour sonner la rébellion. On était à la fin des années 80, 86 exactement, au moment des manifs anti Devaquet, qui ont définitivement placé les Bérus au panthéon du rock alternatif. Et cette chanson y prenait une saveur toute particulière qui reflétait les colères du temps.

C’est cette chanson justement qui marque la collaboration d’Eric et Loran, des potes d’enfance bien sûr, comme Richard et Maurice venus s’ajouter progressivement à l’aventure qui passera la surmultipliée en 2006. Vingt ans pour donner corps à ce projet invraisemblable qui ne marche plus tellement il galope avec l’assurance d’une horde de gaulois gavés de potion magique à l’assaut d’un camp de romains. Et pourtant … les menhirs que ramonent ces messieurs ne sont pas forcément ceux de la réaction obélixienne face à l’invasion latine. Force tellurique, référence aux croyances druidiques (ou blague salace c’est selon) … l’appellation ouvre le champs des possibles et fait bien marrer au passage, … jusqu’à ce que ces quatre démons montent sur scène. Là on ne rigole plus du tout, car la force de frappe est impressionnante. Passant de « Bella Ciao » à « La Blanche hermine » en nous assénant au passage « Dans gwadek » et tout le reste du répertoire (il y a de quoi faire avec les deux albums Dans an diaoul et Amzer an dispac’h sans compter les chansons des Bérus), les loulous nous donnent une leçon de révolte et de coups de gueule, de même qu’ils égrainent l’ensemble des danses locales.

Maîtrise des instruments, politique citoyenne, observation du quotidien : c’est ce que m’expliquera Maurice à propos des textes (il descend carrément de scène en plein concert pour me définir ce qu’est une « menterie », non mais je vous jure, ce type est incroyable) : anglais, français, mais surtout bretons (bah quoi, les rapeurs chantent en anglais et ça choque pas, me fait comprendre loran à qui je fais la remarque) ils y parlent de violence domestique, de chômage, de la condition paysanne. Certaines paroles n’ont pas été changées, elles sont ancestrales et pourtant collent parfaitement à notre quotidien. Preuve que pas grand-chose n’a changé. C’est là que la contestation portée par ces pirates de la modernité prend tout son sens, dans une Bretagne qui a résisté constamment au jacobinisme et à la centralisation, et qui devient ainsi le miroir de toutes les luttes du monde. Et les trois bretons de la bande de me raconter quand ils étaient petits, les panneaux marqués « Il est interdit de cracher et de parler breton », la transmission des racines culturelles par les grand mères, l’importance du matriarcat qui revient en boucle dans leur propos, leur hommage aux louves et aux sorcières découle de cet esprit qui tranche avec la loi des mâles.

Pendant toute la soirée précédant ce concert que je devrai quitter avant son terme (c’est que les Ramoneurs une fois lancés ne s’arrêtent plus tandis que les bus si, et en plus ils étaient partis pour continuer le lendemain sur plusieurs évènements, non non, on ne stoppe pas un ramoneur de menhir sur sa lancée, pas possible ça !), ils vont me parler de résistance, de refus de la politique telle qu’on nous l’impose : critique des gouvernements successifs toute tendance confondue, révolte absolue devant le traitement réservé aux Roms « pourtant européens », devant Notre dame des Landes, regard désespéré sur des réseaux sociaux qui abrutissent les gamins et bouffent les relations humaines, ironie devant une crise économique qu’ils appellent de leurs vœux pour balayer un système déficient et revenir à quelque chose de plus simple, partant de plus sain, réflexions sarcastiques sur un système scolaire qui enferme les gosses dans des cases sans offrir de réel épanouissement … Ces arrangeurs de folklore, dotés d’une expérience riche de trente années ne veulent pas s’enfermer dans un schéma, oh que non ! Mais ils clament la liberté en dehors des codes, le criant sur leur site au point de noyer les infos du groupe au milieu des données sur l’actu, capables d’interpréter avec Louise Ebrel les poèmes de Angèle Duval (poétesse incontournable de la culture bretonne) tandis qu’un parterre de gamins pogotent sauvagement devant les crash barrières. De l’art brut musical ? La définition devrait convenir à Loran, adepte de ce type d’expression, qui cite Antonin Artaud et les collages dada comme des références.

Difficile de vous passer les 50 minutes de notre entretien, vu qu’entre rigolades, discussions à bâtons rompus et les balances d’Edouard Nenez et les Princes de Bretagne (dont on vous reparlera du reste) on ne s’entendait quasiment plus. On a donc dû tronçonner. Mais j’ai quand même sauvé trois passages que voici. Parce qu’il faut entendre ces mecs parler de leur passion, un truc qu’ils trimballent dans leurs tripes depuis toujours et qui fait leur quotidien : refus des dogmes, résistance à la globalisation, statut des intermittents, place de l’artiste dans la société, culture des squats, esprit du rock, fonctionnement des festnoz… ou quand les bardes celtes s’épanouissent dans les champs de coton du rock …

L’esprit rock selon les Ramoneurs de Menhirs ?

Petit cours de musique bretonne par les Ramoneurs de Menhirs

Le rôle de l’artiste selon les ramoneurs de Menhirs

Un énorme merci à toute la team Ramoneurs de Menhirs Loran, Eric, Richard, Maurice, Laurent et Julie ainsi qu’à Edouard Nenez et les Princes de Bretagne et au staff du Sub pour leur accueil. Ce fut une très très très belle rencontre, et un sacré moment de convivialité.

Et merci à Sylvain Bour qui m’a mise sur la piste des Menhirs.

Et plus si affinités

http://www.ramoneursdemenhirs.fr/

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com