Je me souviens d’un jour où je terminais un cours assez animé sur les héroïnes de la littérature. Certains élèves demeurent à la fin de l’heure pour discuter/controverser : « Mais vous êtes féministe ?! » réalise l’un d’entre eux au détour d’une de mes réponses avec un dégoût soudain ; le ton, le regard et l’attitude corporelle étaient sans équivoque et en disaient long sur les discours peu amènes que ce jeune garçon avait dû encaisser dans son entourage chez qui les suffragettes étaient à coup sûr persona non grata.
Etonnant ? Pas tant que ça et l’actualité confirme cette méconnaissance doublée de méfiances ancrées dans des temps ancestraux. D’où un gros travail éducatif pour faire admettre ce qui devrait être d’une logique absolue, à savoir que la femme est un être comme les autres, possédant les mêmes droits, les mêmes devoirs. Enfonçage de portes tellement ouvertes qu’on en reste confondu et pourtant, … les définitions mêmes de la notion de féminisme rendent les choses encore plus opaques, cf Wikipedia :
« Le féminisme est un ensemble d’idées politiques, philosophiques et sociales cherchant à définir, promouvoir et établir les droits de la femme dans la société civile et la sphère privée. Il s’incarne dans des organisations dont les objectifs sont d’abolir les inégalités sociales, politiques, juridiques, économiques et culturelles dont les femmes sont victimes ».
Dit comme ça, évidemment, ce n’est pas franchement glamour ni rassurant … Ces termes ne peuvent au mieux qu’étonner par leur absurdité. Est-il besoin même que la notion existe ? La femme est un être humain, partant l’égale de son équivalent masculin. Point barre, pas de discussion. Et pourtant si, et ça dure depuis des siècles. La définition du Larousse est à ce titre encore plus brut de décoffrage que celle de Wikipedia :
« – Mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société.
– Attitude de quelqu’un qui vise à étendre ce rôle et ces droits des femmes : Un féminisme actif ».
Combat, politique, société, droits, organisation, lutte, les mots reviennent en boucle mais que signifient-ils exactement ? Des femmes qui réclament la pilule et le droit à l’avortement ? Qui brûlent leurs soutien gorge ? Castrent ces messieurs comme des Amazones ? Se barbouillent les seins de slogans pour faire le coup de force dans les manifs ?
Et c’est là que le livre de Fanny Saccomano arrive pour remettre les choses en ordre dans nos petites têtes retournées par une époque confuse où l’on tend à oublier le passé. Agée de 35 ans, née donc post 68 mais héritière de ces temps de révolution sociale comme nous tous du reste, l’auteur(e) fait le point sur les pionnières et ses 99 femmes et nous se présentent comme une somme des luttes menées et réussies, bien que fragiles et en perpétuel besoin de vigilance et de consolidation.
S’attaquant aux différentes facettes qui constitue cette lutte, elle raconte cette difficile mais perpétuelle conquête du corps entre liberté de conception, de voyage et de dépassement physique/sportif, du droit au travail comme accomplissement de soi, du droit de vote comme implication active dans la vie de la cité, du droit à la sexualité libre comme épanouissement de soi, du droit à la création artistique, à la science et à l’appréhension/diffusion des connaissances.
Volonté farouche, passion débordante, désobéissance aux règles, souci d’excellence, … les 99 portraits ici tracés nous emmènent aux quatre coins de la planète et balayent les âges pour mettre en exergue les figures féminines qui ont œuvré si dur : accoucheuse, créatrice de mode, diva, sex symbol, actrice, présidente, journaliste, aviatrice, cosmonaute, … vous allez découvrir que le féminisme ne se résume pas seulement à la mini jupe, à la pilule ni au droit de vote. Bien au contraire, ces dames qui ont osé s’imposer ont fait beaucoup pour l’humanité en sus de défendre la cause féminine.
Segmenté en sections distinctes par des couleurs différentes, l’ouvrage propose une rapide problématisation de chaque thème, des présentations courtes de chaque personnalité, débouchant sur une synthèse avec chronologie des dates importantes, illustrations, points à améliorer. Une construction efficace car tenue et disciplinée qui neutralise toute dérive partisane et discours fanatique (même si on sent poindre de loin en loin un agacement contenu face à l’état d’asservissement d’une injustice criante incontestablement mis en place au fil des siècles et qu’ici on ne peut nier de toute évidence car il apparaît dans toute son ampleur).
revenir aux faits donc : c’est ici la force du propos qui se dégage des discours théoriques pour demeurer dans la réalité des actions et des lois. Parfait donc pour découvrir combien cette notion controversée a été dévoyée, ce qu’elle recouvre vraiment, les murs d’intolérance qu’elle a fait tomber, les femmes qui l’ont défendue et structurée, et pourquoi elle devrait être la préoccupation de chacun, et le fruit d’un travail commun et assidu car il reste tant à faire.
Et plus si affinités