Le terme semble barbare, avec un petit arrière goût de taxidermie. Et pourtant les passionnés qui s’y adonnent n’ont rien d’entomologistes. Encore que … Les insectes dont ils raffolent sont ceux qui laissent leurs pattes de mouche sur le papier. Car les bibliopyxidistes sont avant tout et principalement des amateurs de livres, des bibliophiles enragés désireux de protéger leurs inestimables trésors de papier et d’encre dans des écrins à leur mesure. Des écrins sur mesure. Exemple :
Autre exemple :
Encore un p’tit pour la route :
Ok, vous avez compris le concept. Il s’agit de créer un emboîtage adapté qui protège l’édition tout en rappelant sa thématique d’une façon ludique. Une sorte de rébus dans lequel s’enroule l’œuvre comme un escargot dans sa coquille. Et à ce jeu, Pierre Mercier était très fort. Pierre Mercier, c’est le papa de ces boites et de bien d’autres encore. Créations uniques, pièces rares, imaginations personnelles ou commandes privées, ce monsieur a été l’un des très rares spécialistes de la discipline.
Né le 6 décembre 1928 à Port Royal, il devient ingénieur de fonderie mais s’avère bibliophile de cœur. Collectionneur d’ouvrages originaux, plus spécifiquement de la littérature de l’Entre Deux Guerres, il se prend d’amour pour Queneau et l’Oulipo, Gus Bofa, dessinateur et critique littéraire au Crapouillot, l’auteur de polars Fajardie également. En 1983, tournant de carrière : fini le temps des ingénieurs, Pierre se met à la bibliopyxidie dont il initie la technique. Quand il ne fait pas des boites à bijoux, il façonne des reliquaires thématiques, qui pour protéger la mèche d’Andy Warhol acquise par un collectionneur, qui pour conserver la capote anglaise usagée du photographe érotique Moulinier. Conserver des objets rares ? Pourquoi pas des livres alors ?
Protéger les éditions originales, les conserver à l’état broché initial, tout en proposant un emboitage amusant, original et de qualité : un « livre dans un écrin », concept que Pierre peaufine depuis longtemps, n’ayant pas l’argent pour financer des reliures en cuir. « Je n’ai jamais fait de reliures » aime-t-il d’ailleurs à préciser, ajoutant qu’il préfère « laisser le livre broché dans sa pureté originelle » parce c’est plus agréable de lire un ouvrage broché que relié. « Je me délecte à découper les pages » ; aujourd’hui cela a du reste pratiquement disparu.
Dommage … car le découpage des pages faisait partie d’un rituel d’appropriation, de domestication de l’objet livre, comme on apprivoise un animal sauvage, avec patience, douceur. Une rencontre première avant d’en découvrir le contenu, une découverte en plusieurs étapes : lire le livre ou le parcourir ; s’en imprégner, le caresser, le respirer. Alors vient le moment de s’inquiéter de la boite qui accueillera ce bijou. Faut-il utiliser du carton, du papier ou de la toile ? Jamais de cuir en tout cas. C’est histoire de papier, de matière, de toucher, de parfum. Viennent les formes, les couleurs, l’architecture de l’emboîtage.
Une conversation avec le client permet par ailleurs de cerner ses attentes « mais je ne suivais pas les conseils de ceux qui étaient trop directifs parce qu’ils étaient automatiquement déçus devant le produit fini».Expert et amoureux, Pierre n’en faisait qu’à sa tête et son inspiration. Son travail n’en était que plus précieux, qui surprenait les commanditaires pour mieux les charmer. Les boites qu’il a réalisées pour préserver sa propre collection témoignent d’un geste sûr, de beaucoup d’imagination et d’un goût certain. Du coup on ne sait plus trop où se situe l’œuvre d’art, du livre ou de son réceptacle. Une complémentarité soudain ?
Un grand grand grand merci à Pierre Mercier pour ses réponses et à Taoufik Maïz qui a permis cette rencontre.