Et un final de 15ème édition qui dépasse le cadre du feu d’artifice pour épouser les dimensions du prémonitoire. Pour tout dire, des deux semaines de concerts, c’est cette soirée que nous voulions faire à tout prix. Car c’était la soirée MIXATAC, avec sur scène les trois projets portés par le festival.
Rappelez-vous, l’année dernière nous les rencontrions, juste avant un live incroyable ici relaté Marsatac 2012 / Mix up Maroc : une belle réalité. Ont suivi trois albums reflétant trois univers et trois associations d’artistes françaias, libanais, maliens, marocains : Bamako, Essaouira, et Beyrouth édité très récemment, le tout sous pavillon Mixatac, nom de baptême du projet cité plus haut. Trois hybridations musicales, trois identités, mais une seule aventure humaine fondée sur les valeurs d’échange, de mixité, de dialogue, … et de plaisir.
Un plaisir immense qui éclate sur la scène de la Criée pendant trois heures de concert absolument fantastiques de justesse et de bonheur, qui débutent sur le rock profond et vibrant de Mixatac Beyrouth associant un rap inspiré de la poésie perse, des riffs puissants à la Bashung, et les accents mélancoliques du bouzouk, se poursuit avec le très solaire Mixatac Bamako, la scène envahie par les spectateurs venus danser autour des musiciens, et se termine sur la fantasia électro de Mixatac Essaouira, une charge de cavalerie de folie ! Pfffffff, de toute façon c’est pas descriptible, autant vous montrer, ça ira plus vite :
Et encore, on est loin du compte. Car il fallait y être pour sentir cet élan formidable, qui lève tout le public quand la chanteuse malienne Massaran Kouyaté entame sa danse de vie, montrant son ventre comme un défi souriant et tranquille à la mort, chantant l’éternité, la victoire de l’existence sur l’obscurité de la peur, de la connerie intégriste, de l’intolérance inacceptable. Bien plus qu’un symbole, une réalité balancée à la face de l’adversité qui a frappé son pays, entre fanatisme religieux et catastrophe naturelle, le Mali, pays qu’on a voulu crucifier mais qui ici en cet instant se dresse avec la musique comme arme fatale.
Et les deux autres projets sont du même acabit, Beyrouth, plus intime, plus intériorisé qui pose les fondations, Essaouira, lumineux, universel, à mon sens le plus abouti car celui qui est le plus en synergie, le plus original, avec une totale osmose des musiciens, les gars de Nasser ayant fusionné avec la team du Maâlem Hassan Boussou et le rappeur Komy comme une étincelle qui bondit des uns aux autres. En un an, ils sont devenus une seule et même entité et cela saute aux yeux quand je les vois investir le plateau depuis les coulisses. Unité, fluidité et force tranquille, convaincue, irrépressible.
C’est probablement là l’un
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des secrets de cette recette magique : pas de direction artistique. Les artistes ont eu toute liberté de bosser entre eux, à leur rythme, dans un laboratoire culturel dont ils ont défini les codes progressivement. Belle alchimie qui annule d’un trait les discours communautaristes pour mettre en lumière et de façon incontestable la résonance des êtres, la valeur de l’échange et du dialogue, la force des passions communes. Car pas à dire, le point commun des ces individualités venues de différents ailleurs pour se retrouver à La Criée, c’est un amour absolu de leur art, un besoin presque physiologique de créer. Ou quand la musique s’affirme comme langage universel et fondateur de nos libertés et de nos émancipations.
De plus, et il convient de le souligner, la chose prend corps sur les planches d’un des théâtres les plus célèbres de France, porteur d’un patrimoine littéraire séculaire, en charge d’une fonction pédagogique indéniable. La Criée, longtemps le fief de Marcel Maréchal, repris par Gildas Bourdet puis Jean-Louis Benoit, aujourd’hui dirigé par Macha Makeïeff qui a appelé de ses vœux cette ultime soirée de Marsatac 15eme, invitant le festival après avoir assisté à la session précédente : séduite au départ, enthousiaste au terme du concert. Choix heureux et signe que les temps changent : jusqu’alors les musiques actuelles, tolérées par les institutions pour mieux les contrôler, investissaient les théâtres pour de rares concerts spectaculaires, dixit Cure dans l’amphithéâtre d’Orange. Maintenant, ce genre y prend place comme une valeur culturelle à part entière, à l’égal de l’art dramatique, s’y mêlant sans discordance, y apportant un surcroit de force et une ouverture stylistique essentielle. Un retour aux fondamentaux : le théâtre de Shakespeare en son temps était irrigué de musique et d’airs à la mode.
Aussi, bien plus qu’une collaboration ou un partenariat, la présence de Marsatac à La Criée dessine une alliance qui fait sens dans le cadre d’ une mission culturelle et politique au sens large. Après avoir investi le quartier rénové Euromédittérranée et fait pendant au Mucem, Marsatac traverse le Vieux Port et plante son drapeau dans un univers dramaturgique éminent. Enlarge your festival ? Une conquête territoriale de plus ? Certes mais pas que : ce parachutage augure de passerelles plus solides, de vecteurs de transmission innovants. Il fait écho à un courant de créativité à l’échelon national, aujourd’hui fondé sur les collaborations transversales, éclatant les cloisonnements pour aller dans le sens d’une unité. Comme à Dunkerque 2013, comme à aux 3éléphants … Un courant fédérateur, en train de devenir mouvement, prise de position et action, ce dont nous avons furieusement besoin en ces temps sombres car cette mobilisation rassure, inspire, et engendre la créativité comme réponse aux replis de toute sorte. Ici il s’agit désormais de tracer l’avenir, de l’enraciner dans le présent.
Know future, future is now …
Et plus si affinités
http://www.theatre-lacriee.com/#/
Pour revoir les concerts :
http://www.marsatac.com/?-2013-en-videos-
Album photos : https://www.facebook.com/media/set/?set=a.520113791400887.1073741862.114156521996618&type=3