On ne parle pas assez des femmes créatrices dans les médias ? Elles ne sont pas assez représentées dans l’univers des arts, pas assez mises en avant ? Au travers du roman Tony Hogan m’a payé un ice cream soda avant de me piquer maman sorti aux éditions Philippe Rey, Kerry Hudson nous rappelle que cette place, il convient de la conquérir avec hargne, détermination. Et brutalité au besoin. En mode lutteuses du quotidien/guerrières de la vie/destins de femmes brisées.
Les femmes Ryan
Hargne – détermination – brutalité, disions-nous : en bonnes poissardes écossaises qu’elles sont, les femmes Ryan n’en manquent pas. Et elles en ont grandement besoin, vu l’univers où elles évoluent. L’Écosse des 80’s, rongée de chômage, de délinquance, d’alcool, de drogue, pays laissé pour compte, abandonné, un champ de ruines. L’Écosse de Trainspotting. The Snapper de Roddy Doyle, l’humour et l’humanité en moins. Janie nait dans ce monde ravagé, et va y apprendre à se battre, en observant sa mère, la frêle, indépendante et caractérielle Iris.
Nous la suivons depuis ses premiers hurlements de nourrisson jusqu’au moment où elle part à Londres construire sa vie de femme, hors de cette zone sinistrée. Elle nous raconte un quotidien fait de HLM pourris, de violences domestiques, d’allocations et d’aides, de services sociaux, de cuites et de malbouffe, de dépression, d’insultes, où l’amour et la tendresse font cruellement défaut. Hors celui de sa mère, « maman », mère louve, femme perdue dans ses rêves et ses contradictions, pute d’abord, camée, puis en quête d’un époux, d’une stabilité, d’une survie.
Le vécu d’une course d’obstacle
Et Janie qui observe tout ça, d’un œil méfiant d’abord, puis critique, relatant chaque épisode de cette enfance difficile, de cette adolescence précaire, avec un vocabulaire et des tournures de plus en plus pointus, mordante, amère et désabusée au fur et à mesure qu’elle grandit et qu’elle découvre la vie et les autres. Implacable, dure, apprenant de ses propres expériences souvent malheureuses, traumatisantes, tragiques. En quête d’indépendance et de liberté. Trouvant refuge en bibliothèque, dans la lecture, dans ces livres qu’elle dévore avec passion, moments infimes de plaisir et de paix.
Un roman d’initiation au féminin. Absorbant, qui se lit d’une traite, dont on aime les personnages, dont on goûte le style, entre langage cru et moments d’introspection, vérité des sentiments, pudeur des affects (soulignons le travail de traduction adaptation de Florence Lévy-Paoloni qui a su restituer toutes les particularités de cette écriture teintée d’écossais). Et qui sent son vécu, puisque Kerry Hudson a elle-même connu cette course d’obstacle avant de devenir auteur. Et qui sent sa victoire sur la fatalité, l’annulation complète d’une logique naturaliste à la Zola, le refus d’un déterminisme social qui condamne. Car le livre, preuve de cette réussite autant que son récit, se termine sur ces mots : LE COMMENCEMENT.
Et plus si affinités