Enfin le mot est lâché, qui résonne comme un claquement de fouet : fraude. Terme fort et sans appel pour désigner les us et coutumes du milieu bancaire tel que nous l’avons laissé dériver et péricliter dans notre ignorance des arcanes de la finance et notre engourdissement de citoyens fainéants et repus, occupés de nos petits conforts. Mais pouvions-nous seulement imaginer l’ampleur de ce scandaleux désastre enclenché par les rouages d’un système sclérosé dés sa création, tout juste bon à engendrer et cacher les successions d’escroqueries qui sont monnaie courante dans ce milieu ?
Monnaie courante : l’expression est juste, à ceci près qu’elle englobe une dette colossale que les spéculateurs se refilent comme patate chaude. Des spéculateurs aux talents d’illusionnistes, redoutables prestidigitateurs, magiciens des chiffres qui font surgir là où on ne l’attend pas des fortunes éphémères, des faillites bien réelles. « Comment sommes-nous rentrés en crise financière ? Pourquoi faut-il donner de l’argent public aux banques privées en faillite, et en même temps baisser les salaires, réduire les emplois et augmenter les impôts ? » La problématique tombe dés les premiers instants du Noire Finance, enquête magistralement menée par le documentariste Jean-Michel Meurice et du journaliste d’investigation Fabrizio Calvi.
Claire, concise, évidente, comme les 139 minutes qui vont suivre, segmentées en deux chapitres, deux parties « La pompe à phynances », « Le bal des vautours » vont disséquer 80 ans d’histoire politique, économique et sociale pour comprendre les racines de ce mal, déterrer l’origine de la crise des subprimes et autres scandales de ce genre dans un système mis en place tout au long du XXeme siècle, patiemment, attentivement et avec les effets pervers que l’on connaît. Le Faiseur de Balzac,Les affaires sont les affaires de Octave Mirbeau, L’Argent de Zola nous avaient pourtant mis en garde, dés l’amorce de ce dédale occulte comme socle corrompu de nos économies et de nos sociétés.
Pour nous conduire dans ce labyrinthe, des professionnels, des spécialistes, dont je cite ici les noms et les fonctions : Guillaume Hannezo, associé gérant de Rothschild et Cie, ancien conseiller technique au cabinet de Pierre Bérégovoy, puis conseiller économique à l’Elysée sous François Mitterrand ; Jean-François Hénin, le « Mozart de la finance » ; Jean Peyrelevade, ancien dirigeant de grandes entreprises françaises telles que Suez, le Crédit Lyonnais, Michel Aglietta, membre du Haut Conseil des Finances Publiques, professeur de macroéconomie à HEC ; Jean-François Gayraud, commissaire divisionnaire de la police nationale, dont les travaux portent sur l’articulation entre phénomènes criminels et crises financières ; Paul Jorion, chercheur en sciences sociales, ancien trader et spécialiste de la formation des prix pour le milieu bancaire américain), les journalistes économiques Michael Sauga et Ursula Weidenfeld.
Avec un jeu subtil d’entretiens, de schémas explicatifs et de commentaires résumant chaque avancée pour relancer la problématique sur un nouveau versant d’investigation, les deux enquêteurs démontent pièce par pièce et avec minutie cette horlogerie financière qui active nos vies, en décide, peut les briser à chaque instant, par le caprice de banquiers avides, le coup de tête de golden boys cupides. Le discours se veut critique certes, mordant et ironique souvent avec raison mais de façon objective, débarrassée des appartenances politiques et des lexiques spécialisés incompréhensibles, pour se situer au niveau du simple bon sens humain. Une approche d’une très grande justesse qui évacue les poncifs qu’on nous sert à longueur de journal télévisé et d’émissions d’actualité. Une approche qui date de 2012 : deux ans déjà et malgré ce constat sans pitié, rien encore n’a été fait pour déraciner ce mal, y mettre un terme.
Le documentaire se termine sur ce vide : Que faire ? Comment réagir ? Que proposer ? Une seule certitude, la réponse viendra de nous, de notre prise de conscience, de notre volonté de dire non. Cela commence par l’information, la documentation, la compréhension. Et une refonte totale de notre perception du monde et du social, des véritables valeurs. Cela débute par le visionnage d’enquêtes de cette qualité.
Et plus si affinités