Apologue : L’apologue est un discours narratif démonstratif et allégorique, à visée argumentative et didactique, rédigé en vers ou en prose ; c’est un récit dont on tire une leçon. Merci Wikipedia … dit comme ça, c’est tout sauf attractif ! Mais quand c’est Gabriel Abrante qui s’y colle, alors là, c’est autre chose.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les courts métrages de ce jeune réalisateur farfelu et si juste relèvent de l’apologue tel qu’un Perrault, un La Fontaine, un Rabelais ou un Voltaire ont pu s’en amuser. Conte, fable, utopie ? Toujours ses historiettes nous font réfléchir, réagir, balançant entre la réalité la plus triste, le burlesque le plus fou et le rire le plus mordant.
Pan pleure pas rassemble trois de ces enluminures merveilleuses, qui nous emmènent en Angola, à Goa, puis en Afghanistan, dans des univers extrêmes de beauté et d’instabilité : amour, désir, sexe, pouvoir, révolte et créativité s’y mêlent pour réfléchir à ce qui fait le dialogue et l’incompréhension des peuples. Avec le cœur qui frise, des étoiles dans les yeux, le sourire aux lèvres.
« Pan ne pleure pas », « Pan, ne pleure pas », … la tournure est ambiguë, mutine et tendre à la fois, le réalisateur en rit, comme un enfant blagueur qui déboule dans un jardin en hurlant cette phrase à tue-tête au grand dam des adultes incommodés par tant de sans-gêne mais incapables de sévir devant tant de délicieuse malice, sur fond de carte postale hollywoodienne.
Dérision subtile, Abrante pastiche ces paysages filmiques grandiloquents que pourtant il repère dans le quotidien, ainsi des bidonvilles angolais qu’on croirait caricaturaux alors qu’ils existent vraiment, ou cet Afghanistan verdoyant et si crédible, figuré par les prairies d’Auvergne. Un mélange qui fait écho au discours du cinéaste sur la mixité des cultures, à la page en ces heures de globalisation intensive, mais si délicates à vivre au quotidien.
Mixité … culturelle certes, mais encore ? Linguistique, sexuelle, sociale, générationnelle ? le terme clé de Liberdade, Taprobana et Ennui Ennui, les trois chapitres colorés de Pan pleure pas, mixité alourdie de ses clivages, ses folies, qu’on ne peut empêcher malgré tout, qui donne des fruits savoureux, des moments uniques. Du rire quand la flèche de Cupidon frappe, unissant d’improbables partenaires sur une saveur de corne de gazelle à la banane, dans une course au viagra, l’odeur de l’opium mêlé à celui de la papaye et des excréments.
Eh oui les films de Abrante embaument, baudelairiens qu’ils sont, les coquins, ils vibrent de sensualité, d’interdits transgressés, de sons, de voix, de ces langues qui chantent, le portugais, l’anglais, l’arabe, le français, des phrases simples qui résonnent, des vacheries qui claquent dans la bouche en cul de poule de l’excellente Edith Scob, bourgoise hautaine et trafiquante d’arme, la poésie superbe de Camoens comme une présence tutélaire, ironique et fataliste, dite magistralement par Natxo Checa qui interprète le père du portugais moderne, son protecteur, celui qui par ses vers le sauva de l’éradication conquérante des espagnols.
Conquête : le post-colonialisme ici en prend pour son grade, idem pour les diktats parentaux imposant des traditions désuètes qui leur reviennent en boomerang dans la figure, retour de bâton vigoureusement administrés par des enfants révoltés. Intelligent, fin et original, le regard d’Abrante ouvre le nôtre et le colore de bon sens, de chaud, de beau, de Mozart, de drone, de cochon volant, de singe à tête de Pétrarque, de bibliothécaire vierge, hystérique et karatéka, de seigneur de la guerre romantique et timide, de courtisane scatophile et muses dénudées insaisissables … Pan pleure pas : n’en faites pas l’économie. Les jolies folies sont si rares …
Et plus si affinités
http://www.capricci.fr/pan-pleure-pas-2014-gabriel-abrantes-305.html