Kanwar est jeune, Kanwar est séduisant, beau, charismatique, le digne fils de son père, le très respecté Umber, son héritier, sa lune, sa plus grande faute, la cristallisation de sa folie. Et c’est là le secret de Kanwar … qui est une fille, née dans le malheur de l’exil, sur les décombres d’une Inde en pleine partition, dans une famille sikh où l’on n’engendre que des femelles.
Identités multiples et démences intérieures
Éperdu de cette quatrième sœur d’Eve, Umber va élever sa benjamine comme un garçon, l’initiant à la lutte, à la chasse, à la conduite, à la direction de l’exploitation familiale. Progressivement la crinière typique des hommes sikhs va s’enrouler sous le turban initiatique qui marque le passage à l’âge adulte, tandis que les draps souillés des premières menstrues brûlent en secret dans une arrière cour. Mais le mirage n’aura qu’un temps. Avec le mariage et ses réalités commencera le temps de la vérité, lumineuse et destructrice.
De fait et symboliquement, le film de Anup Singh joue des ombres et des luminosités qui sculptent l’intérieur des maisons, les paysages du Penjab, la poussière irréelle et dense, comme un reflet des ces identités multiples, de ces démences intérieures. Balançant entre l’effroi absolu et la tendresse la plus profonde, l’histoire va basculer dans le fantastique comme pour mieux souligner le dédoublement des individus.
Fable ambivalente
Nous sommes en Inde, où les croyances sont réalités ; le réalisateur présente l’élément merveilleux comme une évidence qui jamais ne choque, mais plutôt offre la seule issue possible à cette impasse identitaire. Le thème avait déjà été abordé dans Yentl ou Albert Noobs par exemple. Ici il prend des accents shakespeariens intenses, une aura tragique et sublime, chargée à la fois du poids des traditions et de la fatalité de destins fracassés.
Magique et superbement filmé, Le secret de Kanwar met en avant des acteurs incomparables de justesse et d’émotion, dont Irrfan Khan dans le rôle de Umber Singh et Tilotama Shome dans celui de l’héroïne Kanwar pour ne citer qu’eux dans un casting véritablement qualitatif. Ce conte aux images de toute beauté pose une autre alternative à la question de l’appartenance à un genre, dans cette société hiérarchisée et cloisonnée, quand naître femme est à la fois bonheur et malédiction. C’est cette ambivalence qui ressort de cette fable, ainsi qu’un sentiment constant de douceur et d’amour, de pardon.
Et plus si affinités