Et ce n’est pas mince affaire que de cerner les contours d’un mythe, alimenté des années durant par les bonimenteurs des foires du monde entier. Car dans la famille du cirque et du side show tel que Barnum en a dicté les principes, le Grand Tatoué est une figure centrale, respectée et crainte a la fois, légende vivante, aux origines aussi complexes que les dessins qui ornent son anatomie.
Et ne comptez pas sur HEY La Cie ! pour percer ses secrets à jour. Plus Mr Djub nous détaille le destin des différents détenteurs du vénérable titre tandis que Rosita la ténébreuse s’active derrière ses gramophones, plus le mythe s’épaissit. Vous aurez reconnu Anne et Julien, qui dans les entrailles du théâtre Claude Levi Strauss s’empressent de pulvériser avec bonheur tout le travail de mise à plat effectué à l’étage du dessus, sur le parcours thématique de Tatoueurs Tatoués.
Et ce n’est que bonheur car ce faisant, ils restituent toute la poésie de cet univers, toute sa créativité, son incroyable richesse qui nous apparaissent dans un halo d’encre chaude. Théâtre, cirque, conte, photographie, cinéma, outre la science médicale, le tatouage a mobilisé tant d’imaginaires et d’énergies, tout d’abord ceux de ces aventuriers qui conquirent la gloire en explorant/exposant leur corps après avoir parcouru les mondes.
Constantinus le turc, OMI le britannique, … ils apparaissent comme les grandes stars de ce monde interlope où les belles acrobates deviennent femmes araignées, dont les pattes longilignes s’étalent sur la plaquette graphique de Ludovic Debeurme, dessinateur convié à venir animer les tableaux successifs de cette pantomime farfelue et mutine. Oxygène de l’Histoire qui s’écrit avec futilité, Notes d’encre n’a pas l’aura sombre qui nous avait giflés durant le spectacle illustrant l’exposition Hey !
Même la possession diabolique qui frappe Constantinus, incarné un instant par Yannick Unfricht, se veut cocasse et environnée de chimères dessinées comme sur une peau, mouvante sur le derme de la feuille. Crayon, mine de plomb, feutre, la plume de Ludovic s’agite sur l’écran pour nous rappeler que tout ceci est histoire de pigments, une étape supplémentaire de la voluptueuse et si dérangeante Saga des Arts. Une projection, un désir, un rêve.
Prochain chapitre de ce vivant catalogue d’exposition, « Fatalitas » nous entraînera dans les bas fonds du tatouage populaire et carcéral, art brut qui scarifie autant qu’il marque, dont les grands tatoués sont issus pour certains, sublimant ainsi cette portée contestataire. Suivront « Au port », « Motifs rois » et ‘Global tatoo » qui concluront ce voyage merveilleux, drôle et polémique a la fois.
Car Notes d’encre sonne par certains aspects comme ces redoutables Fleurs du Mal qui ont changé à jamais le visage de la poésie. Volontaire ou non, c’est le corps qu’on marque, qu’on camoufle et qu’on embellit, effaçant les frontières d’une nudité obligatoire dans le rapport exhibé/voyeur. Il convient de le rappeler à chaque vrombissement d’aiguille éraflant les disques anciens comme on pique les membres dévoués au marquage tandis que crachotent les mélodies délicieusement vieillottes de l’orgue de Barbarie.
Photos : Zoé Forget
Et plus si affinités