Moloch, Les orpailleurs, Ad Vitam aeternam, Le pauvre nouveau est arrivé, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, … Thierry Jonquet, tu nous manques. Et la lecture des 185 pages embryonnaires de Vampires ne fait qu’aviver le vide que tu laisses.
« Un long travail commençait. Aussi routinier qu’incertain. »
C’est sur cette phrase que s’interrompt ton dernier opus, daté de 2009. À la césure de deux chapitres. Ton ultime roman avorte là, alors que, foudroyé, tu tombes dans les limbes, laissant ton ouvrage inachevé. Amputées, avortées mais grandioses, ces lignes annonçaient un très très grand livre, un chef-d’œuvre d’humour et de noirceur dans la lignée de tes précédents écrits, … et très probablement une perfection de lucidité. Comme toujours dans tes textes où tu sens, tu vois, tu prévois. Visionnaire en diable jusqu’au médiumnique ? Ou simplement logique et conscient des blessures et des tares de cette époque ?
Un sentiment de frustration
On reste sans réponse sur le message que tu voulais faire passer avec cette nouvelle et dernière narration, qui nous laisse en suspens. Pourquoi les éditeurs du Seuil ont-ils choisi d’éditer cet embryon en 2011 ? Hommage funèbre ? Coup de pub ? Démarche financière ? Le lecteur ressort de cette aventure avec un terrible sentiment de frustration, une soif de savoir que jamais il n’étanchera, à l’instar des vampires qui sont ici tes héros. Nous voici partageant la fatalité de tes personnages, … l’expérience est unique : tu n’es plus là, il nous faut imaginer la suite du livre.
La monstruosité où on ne l’attend pas
Comme un dernier cadeau, tu nous offres l’expérience du manque, du doute, de la projection. Qu’avais-tu en tête ? Que voulais-tu en faire, de cette histoire improbable que tu rends réaliste dès les premiers mots, naturalistes et effrayants ? Fond noir, lettres blanches, … la couverture est le faire-part de ton écriture, de cette perception si juste, si pointue, si tendre parfois d’une réalité moderne qui manque furieusement d’aménité. Le mystère ? Il demeure vierge, de même la vision que tu allais une fois de plus dessiner de nos communautés, inversant les rôles, plaçant la monstruosité là où on ne l’attend pas, là où elle réside pourtant. Qui est bon ? Qui est mauvais ? Qui est innocent ? Qui est coupable ?
Avec ta redéfinition des rôles, tu as repensé le polar à la française, repoussant ses limites nébuleuses dans des espaces encore plus imprécis mais fascinants … Et Vampires promettait une exploration nouvelle, dont nous ne pouvons déguster que les premières palpitations.
Thierry Jonquet, tu nous manques …
Et plus si affinités