Chers lecteurs, nos pas d’ARTchemists une fois de plus, nous conduisent aujourd’hui en province, toute bruissante d’une activité culturelle riche d’ouvertures et d’audaces. Nous voici donc dans la ville de Limoges où se prépare la seconde édition de la Biennale de photographie de danse du 5 au 7 juin 2015. Une deuxième session visant à réfléchir sur le « Mouvement capturé ».
Le thème en dit long sur l’objectif de l’initiateur du projet. Chorégraphe et directeur de troupe, Pedro Pauwels, là où d’autres ne jurent que par la capitale, a voulu s’en éloigner. Pour respirer, voir d’autres horizons, échapper à l’esprit parisianiste, travailler sur un territoire. Il choisit Limoges pour son célèbre festival de danse. Pourtant son propos, jamais, n’est académique. Il désire avant tout se faire initiateur, sensibiliser les publics à l’apport de la danse dans la perception du monde et des autres, la montrer pour ce qu’elle doit être, une réflexion sur le corps, le nôtre, celui d’autrui, les interactions, les répulsions, l’acceptation. La tolérance.
Lourde tâche dans une société où de plus en plus on sclérose d’interdits et de peurs cette réalité organique qui pourtant porte nos âmes. Le danseur sait de quoi il parle, atteint qu’il fut il y a plusieurs année par une méningite dont il porte encore les traces. La prise de conscience fut alors douloureuse de cette inévitable dépendance à la chair. La réflexion suivit, le désir d’axer travail et création sur ces problématiques dont il déplore qu’elles ne soient pas plus traitées. Après tout, le rapport au corps n’est-il pas au centre même de la notion de liberté, de bien-être, d’échange ? La passerelle entre notre intériorité et le macrocosme ? Entre notre moi profond et celui des autres ?
Douleur, plaisir, contrainte, effort, surpassement, chagrin, … quoi de mieux pour saisir cette fugacité que la photographie ? Tandis que nombre de danseurs privilégient la vidéo et l’image animée pour évoquer leurs chorégraphies, Pauwels se tourne résolument vers le visuel fixe, qui capte la tension d’un geste, la crispation d’un visage, la profondeur d’un regard, tout en stimulant l’imaginaire du spectateur. Cette attraction s’inscrit au cœur de la Biennale, en dessine la trame, les différents temps, les activités. Elles sont multiples, mais toujours articulent danse et captation en interaction. Pour montrer, pour tester, pour dialoguer. Pas forcément pour comprendre toujours, mais toujours pour sentir, ressentir. L’émotion, le frisson, le saisissement, …
Tous ces mouvements de l’âme que nous nous interdisons quotidiennement, persuadés qu’ils sont faiblesse quand ils sont notre identité profonde d’êtres humains, Pedro Pauwels et son équipe se proposent de nous y reconnecter, furtivement, progressivement. Excédant les limites des salles de spectacle, ils vont donc chercher le public là où il se trouve, dans l’espace public. Privilégiant la danse amateur, les projets en école, en hôpital, … Au cœur du processus, la transversalité, la rencontre des genres, des expressions, des media de création. Logiquement, la Biennale résulte de cette approche, avec pour autre volonté de mettre en exergue le travail effectué par les photographes confrontés à la danse en action.
Le programme 2015 reflète un net désir de mixité : autour du pilier central que constitue l’exposition dédiée aux 25 ans de carrière de Jean-Gros Abadie au Pavillon du Verdurier, s’orchestre le parachutage dans plusieurs vitrines de commerçants de la ville des œuvres de Christophe Péan ; chacun de ces clichés fera l’objet d’une performance in vivo qui mettra en regard l’image fixe et les danseurs en mouvement, dans le cadre de la rue. Trois tables rondes permettront de disserter sur les problématiques liées aux relations entre photographie et danse, tandis que cinq pièces mettront en scène les élèves de l’École Supérieure Chorégraphique ACTS. Un concours convie les habitants à venir immortaliser ces moments, à moins qu’ils ne préfèrent saisir des instants dansés de leur quotidien : les quarante clichés retenus feront l’objet d’une exposition itinérante puis d’une publication.
Que retenir de cette démarche ?
- L’originalité de la méthode qui joue la carte du collaboratif et du participatif ?
- La volonté d’interpeller une audience plus large, de faire tomber les barrières, de rappeler que la culture est à tous ?
- L’occasion de mettre en exergue le travail d’artistes régionaux, dont le travail trouve ainsi tribune et reconnaissance ?
- L’opportunité de susciter des vocations, d’ouvrir l’art comme un domaine professionnel vaste et conséquent là où on veut trop souvent n’y voir que rêve irréaliste et stagnation sociale ?
- L’implication d’un ensemble d’intervenants, institutionnels et privés, qui s’investissent comme partenaires actifs et convaincus ?
- Le désir de faire respirer deux formes d’art, de leur offrir de nouveaux champs d’investigation, de repousser des limites en associant le fixe et le mouvant, là où on les séparait comme incompatibles ?
Sur ce dernier point on pense irrésistiblement au B Project porté par la Briqueterie CDC du Val de Marne pour célébrer en mouvements les 500 ans de la mort du peintre Jérôme Bosch. Il s’avère évident que danse et image s’attirent mutuellement, par forcément pour que la dernière saisisse la première, mais de plus en plus pour qu’il y ait dialogue, continuité. C’est le propos de la Biennale de Limoges que de creuser cette piste en se tournant vers l’avenir, en adoptant un cheminement original, convaincu et qui va à n’en pas douter, prendre racine pour s’ancrer solidement dans un paysage désireux de semblables initiatives.
Et plus si affinités
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