Troisième coup d’éclat asiatique du Festival, Mountains may depart est un nouveau chapitre du roman/portrait de la Chine d’aujourd’hui filmé par Jia Zhang-ke. Le film s’étend sur trois époques, de 1999 à 2025 : on y suit le parcours sentimental de Tao, jeune chinoise de Fenyang (ville natale du réalisateur) … Et plutôt que d’annoncer Mountains may depart comme un film-somme, tentons l’appellation de mélodrame renversant. Comme avec son précédent film (A touch of sin, 2013), qui s’aventurait du côté du thriller, Jia tente encore un étrange alliage cinématographique, jouant aussi bien sur un réalisme documenté que sur la volonté d’offrir au spectateur une fiction au sens le plus noble du terme. Que celui-ci puisse prendre part au destin d’un personnage imaginaire. Exigence qu’on retrouve depuis toujours dans la filmographie du cinéaste, régulièrement ponctuée de documentaires, mais à laquelle s’ajoute cette fois une ampleur romanesque inouïe.
Bande annonce de « Mountains May Depart » par Jia… par lalibre
Les méthodes n’ont pas plu à tout les festivaliers, mais le registre « bigger than life » est ici totalement assumé. Et le mélodrame complètement renouvelé. Le lendemain de la projection, un spectateur dans une file d’attente évoquait d’ailleurs Mountains may depart comme « un Docteur Jivago de notre époque mondialisée »… Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de dévastateur ici, une émotion qui emporte tout sur son passage . Mais également une approche visuelle parfois iconoclaste : brèves séquences aux allures sauvages qui griffent les deux premières parties, un format d’image qui change à chaque époque, pour se terminer en Scope, vers l’un des plus beaux sites naturels…de l’Australie. Cette dernière partie du film, parfois comparée par la critique à une série télévisée bas de gamme, peut aussi être vue comme une continuité des grands drames hollywoodiens. Mais le savoir-faire et la maîtrise d’un cinéma spectaculaire dans tous les registres, représentent aussi la profonde impasse culturelle et sentimentale qui va éloigner les protagonistes du film. Ce n’est pas la seule audace de Mountains may depart, mais elle est toujours accompagnée par le regard attentif du metteur en scène vers ses personnages. Et c’est très émouvant.
Quelques jours avant cette projection marquante, la Quinzaine des réalisateurs s’ouvrait par la remise du Carrosse d’or à Jia Zhang-ke, qui offrait pour l’occasion une masterclass animée par Olivier Père. Une petite heure pour évoquer l’importance du film Platform, qui se déroule également sur une longue période et où apparaît pour la première fois Zhao Tao, son actrice, égérie et épouse. La complicité avec son chef-opérateur Yu Lik-wai, présent dès son premier film en 1998, qui demande toujours au cinéaste s’il a une image en tête avant l’écriture du scénario d’un nouveau film. La fascination de Jia pour les lieux publics, son observation des chantiers en cours dans son pays (autoroute, parc d’attractions, barrage). Un questionnement qu’on devine permanent sur la liberté de l’individu, les nouvelles générations et la technologie galopante. De ce qu’il reste alors de nos richesses intérieures. Une relation fiction/documentaire dans son travail qui témoigne selon lui d’un monde sentimental très complexe, où le numérique est un espace imaginaire. Et le souvenir de sa première caméra DV en 2001 …
Et plus si affinités