Aujourd’hui, c’est un fait avéré, une mode et un marché : en parallèle du vintage, le néo-rétro envahit les armoires des fashionistas, tandis que le mouvement pin-up s’affiche ouvertement avec force adeptes vêtues dans l’esprit des 30’s – 40’s. Il n’en fut pourtant pas toujours ainsi, comme le démontre la collection Libération griffée Yves Saint Laurent en 1971. Collection à laquelle la fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent consacré une exposition intitulée 1971 – La collection du scandale, dont un catalogue particulièrement documenté garde mémoire.
Référence aux années d’Occupation
Quand en 1971, Yves Saint Laurent s’inspire des années d’Occupation afin d’élaborer sa nouvelle collection, il déclenche les foudres de la presse et du public. On le critique vertement, on le conspue même. C’est qu’en reprenant ouvertement les robes, les tailleurs et les semelles compensées des élégantes d’alors, il touche à la vache sacrée de la Seconde Guerre Mondiale, période douloureuse, à la fois honteuse et glorieuse. Vêtir constituait alors une réelle difficulté, un enjeu parmi tant d’autres dans un climat de très complète pénurie, de dénuement total. Seuls les privilégiés de la Collaboration avaient accès au luxe et au confort.
Une collection comme un tournant sociologique
Aussi va-t-on reprocher à YSL de traiter avec la plus complète légèreté ce patrimoine historique ô combien traumatique et dont alors une majeure partie de la population ne s’est pas tout à fait remise. Pourtant, cette collection marque un tournant. Alors que sa maison fête une première décennie dédiée à la défense du bon goût à la française, le couturier soudain s’érige comme un véritable sociologue, s’insinuant dans les consciences mutuelles qui doucement vont faire le deuil de ces temps de violence et de chagrin. C’est effectivement dans les années 70 que la mémoire de cette période évolue, qu’on a suffisamment de distance pour entamer un véritable travail d’Histoire et non plus de constitution d’un mythe politique visant à reconstruire un monde.
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Un répertoire vestimentaire riche
En s’inspirant des grands noms de l’époque – on respire notamment dans les modèles le parfum discret des broderies de Schiaparelli – YSL ne fait qu’embrasser un répertoire vestimentaire riche ; il pose les jalons de ses futures investigations de créateurs. Ainsi, le tailleur pantalon trace la silhouette du caban, du smoking pour femme. Les corsets brodés anticipent la célébrissime collection russe. C’est surtout une manière de travailler autrement qui se met en place, subtile mais décisive. Avec beaucoup de pertinence, l’exposition mettait en exergue ce glissement vers une modernité à inventer, dont aujourd’hui et pour longtemps encore nous portons la trace.