Red Rose : cris de révolte, hurlements de la foule en colère, sirènes de police déchirent le ciel pour envahir l’appartement d’Ali. Ali dont on ne sait trop s’il est un ponte retranché dans son confort, un opposant assigné à résidence, un intellectuel en fuite… Ali qui a vécu la révolution de 1979, qui a vu les religieux confisquer le pouvoir, qui, désabusé, observe de ses fenêtres la jeunesse d’Iran se déverser dans les rues de Téhéran et dénoncer le rapt électoral orchestré par les Mollah.
Passion et insurrection
Nous sommes en 2009, la vague verte prend son essor, et dans cette tourmente Ali et Sara vont s’aimer. Sara, brune énigme gorgée de vie et de liberté, effrénée de sensations, vibrante d’indignation, Sara qui déboule avec ses camarades dans le salon d’Ali le reclus pour échapper aux rafles et bouleverser son existence, ravivant ses illusions, ses engagements, ses souvenirs, ses émotions … Vécue dans la tempête politique de l’insurrection, leur passion les unit à huis clos, dans l’intimité, le silence, la complicité et l’abandon.
« Une journée particulière » … le terme est prononcé dans les derniers instants du film. Comment ne pas penser au chef-d’œuvre d’Ettore Scola en suivant l’intrigue savamment élaborée par Sepideh Farsi et Javad Djavahery ? Enfermé entre ses quatre murs, Ali ne voit du monde extérieur que les rares personnes qui passent le seuil de sa porte : un couple venu acheter son appartement, sa jeune femme de ménage, son ancienne maîtresse, … tous illustrent les composantes sclérosées de la société iranienne et Sara, la moderne, la vive, la belle, balaie cette poussière d’un seul regard.
Des cœurs à l’unisson d’un peuple bafoué
Leur amour, nous le vivons à leur rythme, fascinés par l’audace de la jeune fille qui conquiert le quinquagénaire avec un aplomb tout masculin, touchés par la délicatesse de ce dernier, réduit à attendre la fougueuse partie se battre dans les rues, la recueillant, la réconfortant quand elle revient, blessée dans son corps et son âme par la cruauté du monde. Poétique, leur liaison n’en est pas moins intense, viscérale… et universelle. Sara et Ali pourraient s’aimer ainsi dans tous les pays secoués par le printemps arabe, au cœur de la place Maidan en Ukraine, à Pékin sur Tien’anmen, …
La rose rouge qui titre leurs émois, c’est à la fois leurs cœurs qui s’agitent à l’unisson d’un peuple bafoué, le symbole d’une démocratie violée et avortée, le sang des innocents abattus qui s’étale en corolle sur les trottoirs… Puissant, le discours de la réalisatrice tire sa force de la confrontation entre la torpeur d’une alcôve et la brutalité des affrontements, dont les images bombardent les réseaux sociaux. Twitter, Facebook… retranchée dans le bureau d’Ali, Sara témoigne jusqu’à l’ultime seconde des horreurs subies, laissant trace sur la toile. Ces traces existent vraiment, ces images, Sepideh Farsi les a trouvées sur Internet, les a incrustées dans son récit, haletantes, désespérées et véridiques.
Une œuvre artistique d’envergure
Entre la chaleur organique des étreintes et le déchaînement dément des manifestations, le film se love, distillant l’attente, la peur, la ferveur, la souffrance, l’amertume… Le jeu des interprètes y apporte beaucoup, Vassilis Koukalani, tout en retenue, dessine un Ali en nuances, ébauchant sa fatigue, sa résignation avec subtilité ; Mina Kavani, quant à elle, insuffle à Sara une candeur doublée de détermination qui rendent l’héroïne à la fois attachante et effrayante, proche de la démesure nonchalante des figures féminines de Tchekhov.
Ainsi porté, Red Rose possède le potentiel d’un très grand film, appelé à faire date par son sujet, mais aussi par ses choix esthétiques et le traitement de ses personnages. De fait, en montrant sans équivoque l’épaisseur des relations amoureuses, en plantant une figure aussi énergique que celle de Sara, il est à la fois œuvre artistique d’envergure et acte politique sans concession.
Et plus si affinités
Le film Red rose est disponible en VoD.