En ce début d’année et cette première pièce de la saison, personne n’a bien envie d’attendre. Le mois de septembre reprenant son rythme effréné, les Célestins ouvrent leurs portes pour une nouvelle session alors que Jean Pierre Vincent met en scène cette pièce phare du théâtre de l’absurde. Pièce aux multiples interprétations, prenons le temps en ce début d’année d’attendre ce Godot qui pourtant, nous le savons, n’arrivera jamais.Quand on lit le chef d’oeuvre de Beckett, on se rend compte que les deux protagonistes ne sont que très peu décrits, voire pas du tout. Ici devant nous, ils prennent l’apparence de deux clochards, perdus certes, mais bien là et patientant. Le décor simple et esthétique est celui de la campagne, à la fois commune et singulière. L’arbre au milieu sera celui de la célèbre réplique « et si on se pendait ».
L’absurde, mouvement littéraire du XXème nous plonge dans des sujets tragiques, la résistance à l’oppression, l’angoisse face à la mort, l’intérêt de notre existence. Les thèmes sont graves mais l’intelligence de l’interprétation repose ici dans la capacité des acteurs à nous faire rire et sourire. En effet, par leur jeux et leur prestance, ceux-ci nous font nous interroger, par l’humour ils réactualisent les angoisses du milieu du siècle dans notre monde contemporain.Certes Beckett nous parle ici de l’Holocauste, de la guerre, de sujets aujourd’hui historique mais sa réflexion sur la désillusion nous touche et nous bouleverse. Ainsi le théâtre de Beckett ce soir aux Célestins n’a pas pris une ride. En cette période de rentrée, plongeons nous l’espace d’un instant dans un monde où le temps n’existe plus. Le présent est là, les rencontres se créent, la pensée avance mais le passé n’est pas très clair et l’avenir incertain.
Nous le savons tous, Godot ne viendra pas, et pourtant le spectateur s’interroge, espère, y croit encore. Cette distension du temps dans un espace clos et immuable fait prendre à la pensée des personnages une dimension toute particulière. On parle du temps, dans tous ses sens, sous toutes ses formes. Le temps passe, le temps qu’il fait, le soleil qui se couche, celui qui se lève. Le spectateur se sent pris dans cet « espace hors du temps » par le rythme de la pièce alternant entre une frénésie rapide et des moments de lenteur extrême. Ainsi, il convient de remarquer qu’il n’est pas désagréable de juste attendre, surtout ce soir.Charlie Nelson (Vladimir) et Abbes Zahmani (Estragon) forment un duo complémentaire et original au service d’une fraternité sans faille. L’un maladroit, l’autre simplement perdu nous emmènent dans leur quête avec une aisance communicative. Leur rencontre avec Pozzo, ce dictateur comique, nous enchante. La poésie de leurs répliques et leur jeux nous font voyager. Ce duo d’acteur est à saluer pour leur performance.
Nous connaissons toute la difficulté de cette pièce, avec ses répliques hachées, ses non sens et toute son absurdité. Ils nous font ressentir ce que nous pouvons comprendre, saisir ce que nous ne savons pas encore. Ainsi, les Célestins nous permettent d’échapper à notre quotidien le temps d’une soirée, Jean Pierre Vincent par sa remarquable mise en scène nous transmet un théâtre de Beckett aux multiples visages.
Et plus si affinités