À l’approche de Noël, les spectacles pour enfants, petits et grands, font florès un peu partout dans l’hexagone, que ce soit dans les théâtres, les aires permettant le stationnement circassien, les salles des fêtes ou les centres culturels municipaux, comme celui qui tire son nom d’un des fondateurs de Dada, l’Alsacien Hans “im Schnokeloch” Arp, autrement dit Jean Arp, à Clamart, qui a eu l’idée de programmer Dark Circus, la dernière création de la compagnie Stereoptik.
Cinéma forain
À partir du récit d’un certain PEF, le duo artistique formé par Jean-Baptiste Maillet et Romain Bermond a non seulement appliqué la formule audiovisuelle qui, depuis un certain temps déjà, fait sa spécificité, à la thématique du cirque (évoqué par une série de numéros d’avance voués à l’échec : ceux d’une acrobate sur corde casse-cou, d’un homme-canon des plus fuyants, d’un dompteur de lion inapprivoisable, d’un dresseur de cheval sauvage, d’une lanceuse de couteaux malhabile) et a, par là même, rappelé les origines foraines du 7e Art. Plus précisément, c’est la dimension plastique de cet art, qui va des plaques de lanterne magique d’un Robertson aux films d’animation mêlant dessin et objets réels d’un Emile Cohl ou d’un Ub Ibwerks, qui intéresse nos deux hommes.
Avec le moins de moyens possibles – les moyens du bord, ceux du « langage visuel et musical » élémentaire, qui plus est en noir et blanc, si l’on met à part le finale, que nous ne dévoilerons pas –, et un équipement les rendant autonomes car pouvant, à les en croire, tenir dans deux flight cases (caméras, vidéoprojecteur, câbles, rouleaux de Canson, fusains, encriers et pinceaux de Chine et tout le barda compris), Maillet et Bermond (les Mallet-Isaac de l’animation culturelle et de l’animation tout court) parviennent à produire le plus d’effet possible chez des spectateurs âgés de sept à septante ans. On pourrait ainsi dire qu’ils font partie du courant maximaliste de l’arte povera.
Sacré numéro
Ils ont le sens du collage et celui, pris dans son acception la plus… auguste, du bricolage. Et de la suite dans les idées. Le défi est de réaliser – ou, tout au moins, de donner l’impression de le faire dans de telles conditions – un cartoon élaboré “en direct” sous nos yeux ébahis. Inutile de dire que cette production hic et nunc a été non seulement préméditée, travaillée de longue date comme l’est, du reste, toute improvisation digne de ce nom, mais qu’elle est à base de préparatifs et autres éléments pré-enregistrés (musiques, voix off, séquences de dessins animés filmées image par image exigeant un travail de bénédictin). Ces signes en réserve (dans la cave, le grenier ou le back office) enrichissent, interfèrent, se fondent et confondent avec les traits en un tournemain jetés, qui contrastent en donnant l’impression de jaillir sous l’inspiration divine.
Côté jardin, le musicien, égrenant ses mélodies électriques, ses lignes de basse avant de leur surimprimer des contrepoints rythmiques, ce, au moyen d’instruments de chair et d’os et aussi de boucles électroniques; côté cour, le dessinateur, illustrateur, manieur de marionnettes, joueur d’ombres, équilibriste de forces plus ou moins obscures – d’où, sans doute, le titre énigmatique de la pièce. Des bancs de photographe et d’animateur plutôt que d’écolier. Des bancs et, littéralement, des bains de lumière : un aquarium, ponctuellement éclairé, mime à un moment une tempête nocturne. Les marionnettes légères, de peu d’épaisseur, comme les figurines en cuir du wayang kulit, faites de “ficelle et de papier”, comme le chantait Christophe, valorisées (= agrandies) par la lanterne magique sont la base du dianying, autrement dit du cinématographe que les Chinois continuent d’appeler « ombres électriques ».
Jeux du cirque
Le mélange des genres prôné par les deux faces du miroir Stereoptik va de pair avec celui des techniques employées qui, pour paraître simples, demandent un certain savoir-faire. Laissons-les présenter leur démarche : « Parfois un personnage en dessins animés est projeté sur une feuille de papier vierge. La scène est complétée au fusain par le dessinateur. Parfois c’est le paysage en dessins animé qui sert de décor pour des marionnettes. Le tout est filmé puis re-projeté sur un écran de cinéma. » Procédés graphiques (sablage, grattage, gauffrage, premier jet sans repentir, association inattendue, dessins exécutés du « tac au tac », pour reprendre ce titre d’émission de l’ORTF offrant des joutes d’illustrateurs se livrant au jeu du cadavre exquis) et vidéographiques (zoom avant et arrière, inclinaison de l’axe de la caméra, personnage ou animal pris sous divers angles, insert de gros plans, défilement du paysage et/ou des silhouettes, fondu au noir, etc.) se combinent de façon sensationnelle.
La mixette audio et le mélangeur vidéo permettent de fondre les différentes sources de sons et d’images, celles qui résultent du tour de force au spontané apparent – cf. le lavis au dess(e)in invisible, épure à l’eau pure qui ne prend forme ou figure qu’au contact d’une larme d’encre intense et sombre – comme celles gravées sur des disques plus ou moins durs. L’électronique vient suppléer, sinon totalement remplacer, l’électrique, le mécanique et l’huile de coude. Nos deux camelots nous ouvrent leurs valises. Ils ne nous livrent pas tous leurs secrets…
Et plus si affinités
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