Un lecteur averti en vaut deux : si vous êtes fâché avec le pouvoir, ce n’est pas le quatrième roman de Philippe Will qui va jouer les réconciliateurs, bien au contraire. Et c’est très bien comme ça, car la prose de Will ne s’accommode guère des concessions diplomatiques en vigueur dans les hautes sphères de la politique. Maniant l’ironie comme d’autres la TNT, l’auteur de Guérilla, guitariste rock lors d’une autre vie quand il ne secondait pas Thierry Ardisson et Catherine Barma dans leurs actions cathodiques, fait montre du plus pur style punk pour passer au lance flamme l’univers des ministères et leurs compromissions coupables.
Intrigue loufoque
Délectable, l’intrigue sort de l’ordinaire par son côté loufoque : un fils de très bonne famille, feignasse notoire adepte des substances psychotropes les plus composites, chantre de l’anarcho-satanisme pensé comme mode de dénonciation d’une société pourrie et adepte de cuisses légères et compatissantes, se retrouve à faire son service militaire dans les locaux de l’Hôtel Matignon. Nous sommes dans les années 80, Mitterrand inaugure son septennat en plaçant Mauroy sur le siège éjectable dévolu à tout bon premier ministre qui se respecte. Grâce à papa qui a le bras long, notre héros se retrouve cloisonné dans les bureaux à répondre aux milliers de lettres qu’envoient les français à leurs dirigeants.
Plume désinvolte et cocaïnée
Entre plaintes, requêtes et insultes, le jeune rebelle nage dans le spleen de l’Hexagone. C’en est trop et la réaction va être à la hauteur, pour notre plus grand bonheur de lecteur, assorti de crises de rire mémorables. Car le narrateur a de la suite dans les idées en matière de conneries, et son passage dans les sous-sols du pouvoir vont laisser des traces durables et pas forcément glorieuses. D’une plume désinvolte trempée dans l’acide cocaïné d’une adolescence sulfureuse, l’auteur campe l’univers ministériel à l’heure de l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Le service de la patrie n’a pas d’odeur
Cela change-t-il forcément les choses ? Non, et le cynisme des dir’cab rappelle que le service de la patrie n’a pas d’odeur et peu de compassion pour les citoyens. S’adressant à lui-même à la deuxième personne du singulier comme il tutoierait son propre gosse, l’auteur suit le chemin autobiographique tracé par Nathalie Sarraute dans Enfance pour relater ce qui sent son vécu. En phrases courtes et cinglantes serties d’un vocabulaire peu châtié balancé comme des riffs de guitare, il parcourt cette courte carrière de conscrit avec un sens consommé de la bouffonnerie humaine.
C’est peu dire qu’on aime. On adore. On a refermé le livre avec un sentiment de frustration très net, et le désir vif d’aller potasser les autres ouvrages commis par ce sale gosse qui rédige comme on amorce un solo en plein festoche de métal. A lire en écoutant les Sex Pistols à fond avec à l’esprit cette adaptation du célèbre titre martelé comme une antienne : « No future for Matignon ! »
Et plus si affinités
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