Initialement nous avions arrêté notre choix sur la série No seconds, ses photos illustrant les derniers repas des condamnés à mort américains. Et puis en explorant son site, nous avons découvert « Band Riders », clichés illustrant les caprices culinaires des stars de la musique en coulisses. Et d’un seul coup, la démarche de l’artiste Henry Hargreaves prit sens.
Baroque moderne
Ce photographe néo zélandais pour le moins inspiré a débuté dans la mode ; il en a gardé un sens certain du décorum, associé à une perception sans égal du baroque moderne. Si certains de ses travaux approchent l’univers d’Arcimboldo, d’autres affichent le foisonnement des Vanités du XVIIeme siècle, un sens du détail que Van Eyck n’aurait pas renié.Avec la série Band Riders, le photographe, passé maître dans la représentation de la nourriture dans ce qu’elle a de plus pantagruélique, donne à voir les exigences alimentaires des grands musiciens dans l’intimité des backstages.
La poésie du « rider »
L’incontournable « rider », fiche technique renseignée par le tourneur pour expliciter les besoins de la formation musicale auprès de la salle qui va le recevoir, lui sert de feuille de route, et nous en découvrons les outrances et l’étonnante poésie.Épaulé par sa collaboratrice de toujours, Caitlin Ievin, Hargreaves s’amuse à en respecter les diktats parfois inattendus (les bonbons de Marilyn Manson, le fromage frappé de Lady Gaga), dans des mises en scène d’un grande beauté qui rendent hommage aux Natures Mortes classiques, jusque dans la disposition des mets, le fond noir qui les valorise.
Anxiété du live
On y devine alors que la star, derrière ces exigences qu’on qualifie aisément de caprices de vedette ingérable et égocentrique, camoufle une profonde anxiété du live et la scène, la peur de la fêlure publique du désamour. L’amuse bouche qui précède l’entrée dans l’arène et conclut la sortie du plateau apparaît ici pour ce qu’il est véritablement : un rituel. Un geste qui permet de passer du quotidien répétitif de la route avalée kilomètre après kilomètre en tournée au moment unique et magique de la performance. On y décèle aussi une très grande solitude créative, une fatigue, une pesanteur de la célébrité … et ce fardeau de l’image. Qui l’aurait cru ?
Et plus si affinités
Pour découvrir l’univers de Henry Hargreaves, n’hésitez pas à consulter son site web et tous ses travaux.