Regardez bien cette photo. Regardez la bien parce que c’est la seule convenable qu’on a réussi à prendre du live de Dubioza Kolektiv. C’était dans les premières minutes du concert du 4 mai 2016 … avant que la salle de la Maroquinerie ne tourne dingue sous les coups de boutoir musicaux du combo bosniaque venu se droper à Paname le temps de balancer à leurs fans le nouvel album Happy machine.
Un septième opus qui confirme la prolixité et l’énergie des 7 de Sarajevo et leur talent incontestable pour faire tanguer les foules tout en leur filant le plein de prise de conscience et l’envie de niaquer ce monde de merde, le sourire aux lèvres et le tonneau de rakia en bandoulière. Festif assurément, le groupe ne s’est jamais départi d’un engagement qui dépasse le politiquement correct pour naviguer dans les eaux libertaires d’un anarchisme post punk assumé. « Punk ? Vous croyez ? » me déclarent-ils d’un air malicieux tandis que je les interroge la veille de leur razzia maroquinesque, à la table d’un troquet sympa, entre une bière et un diabolo grenadine. C’est dit, l’humour, ces messieurs savent le manier, et l’ironie qui va avec : c’est leur marque de fabrique aussi identifiable que les maillots jaunes et noirs qu’ils arborent, « parce que ça se voit mieux sur scène ».
Ainsi affublés, les loulous travestis en frelons prennent un malin plaisir à piquer qui l’industrie du disque, qui l’état des Balkans, qui l’intolérance religieuse, qui le fanatisme et le fascisme, qui la fascination malsaine pour la société de consommation. Le message dans tous les cas est clair : « arrêtons d’être cons ! » et « soyons autonomes et responsables ! » Héritage de la guerre, mémoire d’une Sarajevo bombardée parce que multiculturelle mais qui résiste par les armes, le DIY et l’expression artistique. Mais attention : les Dubioza ne sont pas des pleureuses et refusent de vivre dans le passé. Le conflit est derrière eux, ils font partie du présent et construisent l’avenir. Avec une exubérance communicative qui vous propulserait une armée de dépressifs en orbite autour de Mars.
Fort de ce dynanisme qui n’a rien de psychotrope, ces balkaniques lutins investissent avec un peps égal en toute circonstance les scènes monumentales des plus grands festivals internationaux comme les plateaux intimistes de petites salles. Pas de discriminations, ils sont partout chez eux, les frontières, ça ne devrait de toute façon pas exister. Une gratte issue du métal (une Vigier s’il vous plaît, on peut être anar et choisir la qualité), une batterie de rocker, une basse qui rappelle celle des Dead Kennedys, un saxo tout droit sorti des meilleurs groupes de ska, un DJ ultra electro qui ne crache pas sur le glitch et les effets de sirène, des MC qui jonglent entre chant traditionnel, hiphop mutin et reggae, Dubioza Kolektiv pratique la mixologie des genres avec un bonheur certain !
« Artistik freedom » demeure leur mot d’ordre, et ils l’appliquent avec une constance de métronome, sans jamais se prendre au sérieux, mais avec la ferme intention d’amener leurs auditeurs à se responsabiliser sur les vérités de ce monde. C’est entre gens avertis qu’on peut commencer à discuter et bâtir l’avenir. Citant les Monty Pythons et leur mémorable Flying circus, les Dubioza évoluent dans une blague perpétuelle, qui s’inspire des travers de nos sociétés soit disant modernes. S’ils ne veulent pas dicter la conduite de leur public, ils n’hésitent pas cependant à prendre position. Marre de la minorité perpétuelle, soyons majeurs que diable, Kant l’a dit avant nous, il est temps d’y parvenir à grand renfort de gratte et d’accordéon !
C’est ainsi que nos chers Dubioza sont allés pousser la chansonnette sur la place de la République pour soutenir Nuit debout ou qu’ils ont balancé leur dernier opus en téléchargement libre, se payant le luxe de le chanter à tue tête avec le remarquable « Free mp3 », clin d’oeil aux membres de Pirate bay. Autant vous dire qu’ils considèrent les grosses firmes de l’industrie musicale avec méfiance et qu’ils préfèrent naviguer à vue et pour leur propre compte. Leur nom sonne d’ailleurs comme un cocktail Molotov balançant entre l’illégal, le déglingué et le très jamaïcain dub. Plus on est de fou, plus on rit. Du coup les invités sont les bienvenus dont Manu Chao qui apparaît sur la dernière galette, ainsi que Benji Webbe de Skindred, le trompetiste et chanteur italien Roy Paci, le chanteur Punjabi BEE2, le groupe catalan La Pegatina ou le trompetiste macédonien Dzambo Agusev .
Tout ça dans la joie et la bonne humeur, en anglais, en italien, en bosniaque, en espagnol, sans laisse ni collier, dans la parfaite tradition de la fiesta et de la protest song. Parce qu’on comprend mieux les choses en s’en moquant et que la dérision n’a pas de drapeau. Croisement savoureusement réussi de Dub Inc, System of a down, Le Bal des enragés et les Dak Daughters, Dubioza Kolektiv se distingue du lot par son inlassable fécondité et sa volonté d’émancipation partagée. Leur trajectoire sans faille prouve que cela n’a rien d’une utopie et que la liberté de création, d’esprit, de ton et de mouvement est à la fois possible, souhaitable et réalisable.
Nous tenons à remercier :
- les Dubioza Kolektiv pour leurs confidences, leur engagement, leur putain de professionnalisme et leur sens de la scène
- le public qui s’est tellement éclaté, faisant mentir la réputation de nonchalance de l’audience parisienne
- Mathieu et Julien qui ont permis cet entretien
- les photographes qui ont pu shooter le concert en demeurant debout et stables malgré les pogos furieux qui animaient la fosse (du coup on leur emprunte quelques clichés, merci, merci, parce que nous on a bien loupé le coup, mais bon on a des circonstances atténuantes et en plus on s’est bien marré).
Et plus si affinités
Pour suivre les aventures (nombreuses et toujours palpitantes) de Dubioza Kolektiv, consultez régulièrement leur site :