B Project, Prière de ne pas détruire, Métamorphoses, … l’heure a dépassé la réflexion pour privilégier l’action : la danse a désormais son rôle à jouer pour redonner vie aux joyaux du patrimoine, qu’il s’agisse de musées, de bâtiments religieux ou d’architecture industrielle. Parente pauvre de la famille culturelle, doucement mais sûrement la danse sort des institutions et des académies pour investir une modernité expérimentale où le corps, par ses mouvements, réveille l’âme endormie d’un lieu, d’un espace, en changeant le regard froid et intellectuel qu’on porte trop souvent sur ces constructions alourdies d’une mémoire glorieuse. La seconde édition de Monuments en mouvement, débutée en mars 2016 pour se poursuivre jusqu’en septembre, abonde dans ce sens, avec une programmation ambitieuse.
Propulsée par les Monuments Nationaux, l’opération se déploie sur l’ensemble du territoire, investit l’abbaye du Mont Saint Michel, les remparts de Carcassonne, le cloître de la Psalette de Tours, le monastère royal de Brou à Bourg en Bresse, le fort Saint André à Villeneuve Lez Avignon, l’abbaye du Thoronet, le Panthéon, la basilique Saint Denis. Mandatés pour cette mission artistique, des chorégraphes comme Nathalie Pernette, Yuval Pick, Nacera Belaza ou Carolyn Carlson, mais aussi des acrobates et jongleurs tels Chloé Moglia, Clément Bazin, Tatiana Mosio Bongonga, Yoann Bourgeois. Fragile, créatif, audacieux, l’être humain vient ici se confronter à la puissance hiératique de la pierre. En réveiller les fantômes, les grâces comme les peurs, rappeler que ces ensembles majestueux furent eux mêmes élevés par la force de l’esprit, qu’il s’agisse de défendre, de régner ou de prier.
Une bien belle perspective que celle-ci … mais concrètement de quoi s’agit-il ? Et quel impact sur le public ? Occasion nous est donnée de vivre l’expérience en direct, à la très parisienne Conciergerie. Nous sommes le 16 juin au soir, la Seine est doucement en train de réintégrer son lit tandis que nous pénétrons les portes du premier palais officiel des rois de France au Moyen Age, devenu par la suite prison d’état, désormais palais de justice et site touristique. C’est ici que vécut Saint Louis, que Marie Antoinette comme des centaines d’autres victimes de la Terreur attendirent la mort. Lieu de pouvoir, lieu d’émerveillement, d’enfermement, de souffrance, d’angoisse, de loi : comment restituer des impressions aussi contradictoires ? C’est le chorégraphe Thomas Lebrun qui relève le défi.
Où chaque souffle danse nos mémoires fait intervenir douze danseurs vêtus de noir, placés en des points clés du parcours de visite : salle d’arme, petite cour, chapelle, cachot, cuisine, … Le public passe d’un point à l’autre au gré de ses envies, de son ressenti, de sa perception … Les compositions de Pascal le Gall servent de support sonore à ces performances proches de improvisation. Gestes, position du corps, attitudes et expressions du visage, tout exprime la vulnérabilité face aux grilles de métal, aux croisées des plafonds, … déjà très oppressantes, les salles de la Conciergerie en deviennent étouffantes. Les émotions sont multiples, dérangeantes, inquiétantes … Elles s’allègent considérablement quand nous entrons dans l’espace plus chaleureux de la cuisine, avec ses quatre cheminées où évoluent des interprètes visiblement détendus.
Est-ce le poids de l’Histoire qui influence auditoire et interprètes ? Ou la performance a-t-elle force à éveiller les sentiments emprisonnés dans ces murs, vécus par les générations qui s’y succédèrent ? On ne saurait dire, et c’est le plus perturbant. Il fut un temps lointain où les artistes venaient en ces lieux pour amuser les puissants. Aujourd’hui ils y passent comme le feraient des nécromants, réveillant des vibrations dont on avait tout oublié. « Dansez sinon nous sommes perdus » avait coutume de dire Pina Bausch. Monuments en mouvement, comme d’autres initiatives actuelles relevant de la même logique, réinvente notre perception du patrimoine et de sa véritable signification. Rationnels et scientifiques, les livres d’histoire sont une chose ; il n’en faut pas moins oublier les émotions qui motivèrent les actes. La danse, les arts du corps ici mobilisés, nous rappellent que tout ceci fut avant tout le fait d’humains guidés par leurs perceptions.
Et plus si affinités
Consultez le site dédié à Monuments en mouvement:
https://www.monuments-nationaux.fr/Actualites/Monuments-en-mouvement-2016