Si vous vous êtes arrêtés à son tube « C’est la ouate » (1986), c’est que vous avez raté de nombreux trains concernant la riche carrière pluridisciplinaire de Caroline Loeb. En témoignent George Sand, ma vie, son œuvre joué aux Francofolies et Françoise par Sagan, actuellement en Avignon, soit deux pièces intelligentes qui célèbrent la littérature et les femmes libres. Rencontre à La Rochelle avec un artiste sensible loin de son image « étoile filante de la variété française ».
Comment avez-vous rencontré George Sand ?
C’est l’éditeur Laurent Balandras qui m’a mis le pied à l’étrier si je puis dire. Il était en contact avec l’équipe d’EPM Musique qui avait le projet de faire un livre-disque pour enfant d’après les Contes d’une grand-mère de George Sand. Il m’a remis certaines histoires dont je n’ai lu que 4 lignes avant de refermer l’ouvrage qui m’est tombé des mains. Mais je me suis du coup intéressée à cette auteure. J’ai enchaîné les biographies de cette femme qui m’a instantanément fascinée. A partir de là, j’ai commencé à enregistrer des chansons avec Thierry Illouz. J’ai ensuite mis quelques années à écrire cette pièce mi-récital, mi-monologue. Il fallait digérer cette vie riche et invraisemblable car au bout de 4 biographies, je ne comprenais toujours pas dans quel ordre George Sand a pu vivre une vie aussi démente. Il fallait trouver comment en 1h15 raconter son histoire et c’est Alex Lutz qui a eu l’idée du journal, de la mise en abîme de l‘écriture du spectacle pour tout dire sans que certaines choses soient creusées. Du coup c’est vivant et pas du tout didactique.
Comme le titre de la pièce l’indique, vous parlez aussi de vous …
Les allers-retours entre ma vie et celle de l’auteur se sont faits assez naturellement. Quand j’ai commencé à travailler sur elle, je me suis surprise à penser que c’était le portrait craché de ma mère : créative, boulimique d’art, d’amour… Et puis en avançant dans le travail j’ai découvert ses relations avec sa fille Solange, une histoire assez terrible. Solange ne travaillait pas, était assez ingrate avec sa génitrice. A l’époque de la création ma fille était en Première, en pleine crise d’ado. Cela faisait forcément écho. C’était aussi pour moi l’occasion de parler du rapport des jeunes avec la culture qui est une vraie question. J’ai été élevée à une époque où l’on lisait tout le temps. Je me suis avalé Guerre et Paix en 15 jours. J’enchaînais les livres incessamment. Aujourd’hui, tout comme les jeunes, je me sens happée par les réseaux sociaux et le Net et ai du mal à me concentrer sur la lecture. C’est inquiétant.
George Sand était une des premières féministes …
Oui, c’était une femme totalement libre comme une Madonna peut l’être aujourd’hui. Du coup George Sand fascinait mais provoquait aussi une violente haine. Victor Hugo, Gustave Flaubert et Dostoïevski l’ont adoré à la différence d’un Baudelaire d’un Nietzsche ou Barbey d’Aurevilly. Ce n’est pas de tout repos d’être aussi moderne. Madonna s’est faîte traîner dans la boue aussi mais elle a toujours maintenu une volonté d’affirmer sa liberté et son indépendance. Elle essuie encore aujourd’hui de violents tacles, notamment sur son âge et sa volonté d’être libre et épanouie à 57 ans.
Aujourd’hui quelles seraient les héritières de George Sand ou Madonna ?
Annie Ernaux assurément. J’ai une passion pour cette auteure. Elle est venue voir le spectacle qui l’a beaucoup touchée. Je la cite d’ailleurs à la toute fin via les premières phrases de son roman Les Années, texte qui me bouleverse totalement. C’est une immense écrivaine.
Côté musique, je trouve qu’il y a une sorte de dégénérescence dans la pop music. Madonna affichait une grand liberté d’image avec force et talent. Image très sexuée forcément mais avec des références au cinéma des années 30, à Guy Bourdin, à Frida Kahlo mais aujourd’hui les nouvelles icônes ressemblent, excusez-moi, à des putes. Affirmer sa liberté ce n’est pas se traîner à 4 pattes en tirant la langue comme une chaudasse. Les starlettes actuelles se revendiquent féministes certes, mais il y a dérapage ou bien erreur. Être féministe, ce n’est pas adopter les codes de la pornographie. Madonna avait une tenue, une vision élégante, ultra-référencée… Beyonce est fascinante de beauté mais c’est souvent limite ses positionnements en fille « bonne à baiser ».
Alors quelle serait l’image de la femme à proposer aujourd’hui dans l’industrie du disque ?
Je pense spontanément à Christine and The Queens qui me fascine. Elle n’est pas du tout dans les codes désolants précédemment cités. Elle invente quelque chose de personnel, une image de femme qui n’existait pas avant. Elle est loin de toutes ces filles haletantes et offertes. Je suis heureuse de voir qu’elle rencontre un vif succès. Il nous faut d’autres jeunes artistes aussi intelligentes qu’elle car là ce n’est tout simplement possible !
Votre pièce rencontre, elle aussi, un joli succès. Heureuse ?
Cela fait trois ans que je tourne cette pièce. Bien sûr qu’on espère le succès, la rencontre avec le public mais ce qui est encore plus fort c’est de voir que le public est touché, ému par le propos. Il rit, il pleure. George Sand, ma vie, son oeuvre est un spectacle qui touche vraiment les gens par son approche de l’amour de la littérature, des femmes libres, des femmes qui s’inventent un destin.
J’aimerais faire beaucoup plus de scolaire mais il y a un truc que je ne m’explique pas entre l’éducation nationale et le théâtre. Les rares fois où des scolaires sont venues, les professeurs étaient fous de joie de voir qu’il était possible de parler de la littérature du 19ème en alliant profondeur et légèreté. Ce spectacle s’adresse vraiment à des jeunes de 16/18 ans. Je serais tellement heureuse que George Sand, ma vie, son oeuvre leur donne envie de lire, de penser, de comprendre combien le combat qu’a mené George Sand reste fondamental.
https://vimeo.com/167310260
Vous jouez en ce moment une toute nouvelle pièce qui met à l’honneur une autre femme de lettres : Françoise par Sagan.
La rencontre s’est faite grâce à Alex Lutz. Je ne renie rien traînait chez lui. C’est un montage des interviews de cette auteure de génie entre 1954 et 1992. Quelques mois plus tard, quelqu’un m’a offert le bouquin et je me suis dit qu’il y avait de quoi en faire une pièce de théâtre. J’ai travaillé le texte, coupé, sélectionné les passages qui me parlaient le plus. Ce qui est intéressant ici c’est que je disparais totalement derrière le personnage de Sagan. Et cela me plaît beaucoup de m’effacer ainsi. Je le joue en ce moment à Avignon après mon passage parisien.
Merci à Caroline Loeb pour ses réponses.
Et plus si affinités
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