Ils sont 600 à attendre, dans un sous sol saturé d’odeurs corporelles et de sueur. Nus ou presque. Des gros, des petits, des bedonnants, des musclés, des jeunes, des vieux. A bouffer des chips en se rasant ou s’enduisant d’auto bronzant … à portée de main, des bonbons, des sodas et des capotes. Patients, ils reluquent les télés qui passent en boucle les exploits fornicato-cinématographiques de la star du porno Cassie White. C’est elle qu’ils sont venus baiser, leur idole désireuse de battre le record du plus grand bang gang. Un défi, un trophée, un hommage, … ce qu’aucun d’eux ne sait, c’est que cette gigantesque partie de jambes en l’air cache une tragédie à l’oeuvre.
Et quand je dis tragédie, j’utilise le terme au sens grec, atridien du terme. Car ce record auquel la sublime Cassie s’accroche en professionnelle prend page après page l’allure d’un suicide, pire, d’un sacrifice. Une catharsis doublée d’une vengeance, ou d’un règlement de compte ? Trois des messieurs conviés à cette sauterie d’envergure vont progressivement s’interroger, nous attirant dans leurs doutes. Et sans même s’en rendre compte, l’antichambre de cette partouze monumentale devient le salon infernal et très sartrien d’un Huis clos hard, où Eros flirte dangereusement avec Thanatos.
D’une plume élégamment agressive, Chuck Palanhuik passe d’un personnage à l’autre, croisant les répliques, les regards, les réflexions, ajoutant à ces trois générations d’hommes le profil apparemment sans saveur d’une régisseuse de plateau trop rigide pour être honnête, tandis que l’ombre de l’inaccessible Cassie plane dans la salle comme une déesse … ou un fantôme. La fin de ce thriller psychologique, on s’y attend tellement qu’on ne s’y attend plus. Et Palanhuik s’amuse à perdre son lecteur sur de fausses pistes, jouant avec les convictions de chaque protagoniste, nous happant dans leurs désirs glauques qui excèdent de loin le simple acte charnel.
Envoutant, hypnotique et écœurant, Snuff, après avoir scruté sans complaisance l’industrie du hard de manière quasi naturaliste, se termine de manière grandiose, burlesque et grandguignolesque. Un final de choc, qui conclut cette course à l’abîme où la spontanéité est gommée au profit d’une lente préparation du climax de conclusion. Si Fight Club a propulsé le succès de Palanhuik, Snuff détaille par le menu les complexités d’une construction et d’un style qui s’affirment ici dans un récit court, tenu par les unités de lieu, de temps et d’action. Ou quand le porno devient le champ d’exploration des problématiques de la fatalité et de la cruauté humaine.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur Snuff, consultez la page que lui consacrent les éditions Sonatine :