Alors que le Festival du Film Coréen à Paris peaufine sa 11eme édition inaugurée le 25 octobre, revenons sur The Strangers. Sorti en juillet 2016 après une projection plébiscitée à Cannes, le film de Hong-Jin Na s’inscrit aux côtés du superbe Dernier train pour Busan afin de repositionner les règles du cinéma fantastico-horrifique, d’en tracer le sillon poétique et esthétique.
Située dans le village de Goksung, titre initial de l’oeuvre, l’intrigue tourne autour d’une série de meurtres d’une soudaineté et d’une violence inouïes. Impuissantes, les forces de l’ordre assistent au massacre de plusieurs membres de cette petite communauté par des proches mystérieusement enragés avant de sombrer dans une apathie insondable. L’onde de choc est amplifiée dans cette petite communauté où tous se connaissent, s’entraident … et persiflent à l’occasion.
Enquêteur complètement dépassé par la situation, Jong-Goo va devoir s’impliquer quand sa petite fille adorée commence à présenter d’inquiétants troubles du comportement, assimilables à un cas de possession. Petit à petit, le doute s’installe : et si la bourgade était frappée par le démon ? Qui est-ce ? Ce japonais vivant en ermite dans la montagne, depuis la Guerre, qu’on soupçonne de viol et autres méfaits ? Rumeurs, bruits, la réalité se déforme au fur et à mesure que l’incompréhensible s’exprime.
Ces crimes épouvantables sont-ils le fait de la folie ou du surnaturel ? Très vite, le réalisateur balaie le fantastique pour nous plonger dans le merveilleux le plus fascinant, le plus éprouvant qui soit. Les légendes coréennes sont hantées de spectres, de diables et de succubes qui avalent l’esprit des vivants. Convoquant ces superstitions fermement ancrées dans le patrimoine culturel, Hong-Jin Na tisse un scénario qui glisse petit à petit du thriller policier au conte sanglant dans une esthétique travaillée avec soin.
Eau, feu, lumière, végétaux, les éléments naturels envahissent l’espace narratif d’une trame complexe, dont on ne saisit le piège que dans les derniers instants, avec un sentiment d’échec absolu. Chamanisme ou catholicisme, aucun des recours de la religion n’endiguera la catastrophe, somme toute perceptible dés le début du film. C’est une logique de tragédie calquée sur les grandes malédictions mythiques que le cinéaste cisèle, dépassant ses modèles initiaux que sont L’Exorciste, Rosemary’s baby et Seven.
Au coeur du processus, la prise de conscience de l’amour filial, de ce que représente la paternité, la cellule familiale, amicale. La perte également. Confronté au décès de plusieurs proches, le réalisateur est entré dans ce cheminement créatif pour extérioriser des questions et des peurs. UN sentiment croissant de solitude. Deux ans et demi furent nécessaires pour accoucher du synopsis, avec d »infinies difficultés. On ressent cette angoisse profonde à chaque plan, dans l’opacité étouffante de la pluie, la lourdeur de la forêt, l’éclat des bougies dans les chaumières étroites, dans l’habitacle même des voitures de police, des chambres d’hôpital …
Lumière bleutée, ombres dévorantes … le travail de l’image induit une véritable hypnose, place le spectateur dans un état oppressant, une anxiété grandissante, doublée d’un sentiment de terreur et de pitié. Cathartique, The Strangers prouve s’il en était encore besoin la qualité, l’inventivité et la puissance d’un cinéma coréen qui excelle à exploser les genres.
Et plus si affinités