Après Acceso qui dénonce le scandale de la pédophilie au Chili, Je ne me souviens plus de Wael Ali nous projette au cœur de la détention syrienne. Le festival Sens interdit porte encore un regard original et créatif sur les problématiques de notre époque, avec comme armes le théâtre et l écriture.
Petite salle de quartier dont le programmation est assurée par la.association « Et si tu … », le Théâtre de l’Élysée, au cœur du quartier de la Guillotière, est un lieu intimiste et convivial qui se prête parfaitement à ce type de programmation. On y va une demi heure avant le spectacle pour boire un verre au bar associatif, papoter avec ses voisins ou d’autres passionnés. Privilégiant des oeuvres originales hors des sentiers battus, il nous permet un autre regard sur le milieu artistique, plus accessible et moins codifié.
En effet Je ne m en souviens plus est le spectacle du témoignage. Hassann musicien exilé en France depuis 1999, expose son expérience de prisonnier politique syrien. Arrêté avant le début de la guerre sanglante que nous vivons aujourd’hui, il y fait cependant allusion en évoquant toutes les étapes de sa cavale, aujourd’hui plus ou moins détruites. En ce sens le dramaturge Saadallah Whannous prophétisait presque quand il écrivait en 1996 « le théâtre doit rester en vie car sans lui le monde deviendrait plus solitaire, plus moche et plus pauvre ». La pièce Je ne me en souviens plus nous parle d’une Syrie qui n’est plus. Sous la forme d un reportage parfois entrecoupé d un interrogatoire policier, la pièce flirte avec fiction et réalité. Le spectateur bouleversé s interroge ainsi sur la tragédie syrienne dans une forme très authentique.
La pièce tourne autour de la notion de traumatisme, elle nous interroge sur notre biais de mémoire et nos défenses pour oublier ou accepter le trauma. Deux acteurs sont physiquement présents sur scène, cependant trois entités rythment le spectacle dont le souvenir de l’emprisonnement. Tout s’y rapporte et l’enquêteur essaie de comprendre Hassan et sa gestion du souvenir. La notion de syndrome post traumatique est ici décortiquée, appréhendée et jouée. D ailleurs le traitement de ce syndrome repose sur la narrative experience therapy dans le cadre hospitalier, ce qui n’est pas bien loin d une pièce de théâtre.
Ainsi cette belle pièce, jouée pour la première fois à Beyrouth, nous renvoie aux drames de notre époque. Comme un hommage à une population souffrante, l’art dramatique se fait témoin et porte parole. La pièce en arabe (surtitrée en français) offre un voyage poignant dans l’espace, dans le temps et dans notre conscient et inconscient. Usant de quelques moyens numériques, l arabe écrit et parlé se fait décor et mise en scène. Cette exploration nous conduit au cœur du Moyen Orient, dans ce berceau du monde, hors d’atteinte depuis plusieurs années. La grande Syrie regorge d’un patrimoine riche et d’une culture inestimable, dont il ne reste que le souvenir, et c’est peut-être là le plus grand choc de la pièce.
Et plus si affinités