Andres Serrano demeure dans les esprits comme l’auteur du très contesté « Piss Christ ». Une hérésie que de résumer son oeuvre à cette seule expérimentation visuelle et d’oblitérer le travail pourtant précieux de ce photographe de génie qui capte la réalité avec l’ardeur des grands maîtres de la Renaissance. Désireuse de rétablir une juste vérité, la MEP organise jusque fin janvier une rétrospective dédiée aux portraits de Serrano.
On pourrait alors penser que, sous cet angle, son approche serait plus apaisée. Il n’en est rien et c’est avec un sens certain de la couleur et du volume qu’apparaissent ici les pièces maîtresses de ses séries America, The Klan, The interpretation of dreams, Native americans ou Cuba. Autant de façons d’interroger ce qu’est l’Amérique aujourd’hui, une nation qui laisse perplexe et inquiète autant qu’elle fascine : à ce titre c’est le visage d’un Donald trump aussi convaincu que roublard qui accueille le visiteur, saisi par la portée visionnaire du cliché qui date du début des années 2000. Avec un sens profond de l’observation qui frise la médiumnité, Serrano met en exergue les appétits conquérants de son modèle, dont on sait désormais qu’ils n’étaient pas qu’une simple attitude de défi.
Par la suite la confrontation des portraits d’indiens natifs et de membres encagoulés du Ku Klux Klan accentue le malaise, dans un jaillissement de lumière et de couleurs. Car Serrano n’a pas son pareil pour capter les nuances les plus éclatantes sans qu’elles aveuglent ou qu’elles paraissent saugrenues, ridicules, vomitives. Et c’est avec une fausse candeur qu’il mémorise ces volontés contradictoires, ces personnalités opposées, cette violence intrinsèque, à l’oeuvre dans les tréfonds d’une société à la fois vibrante et malade de ses incohérences. Mouvement du tissu, traits des visages, intensité des regards, tensions des muscles, tout ici est héritage des maniéristes, Caravage en tête.
Si l’on en doutait la deuxième partie de l’exposition le confirme de façon claire, en renouant avec la thématique fétiche du peintre, à savoir la misère. Par plusieurs fois, Serrano est descendu dans les rues pour scruter et restituer la profonde pauvreté à laquelle la société moderne réduit les plus fragiles de ses membres. De New York à Bruxelles, il a saisi cet abandon complet, où pourtant demeure une dignité, une volonté de combat, de survie : Signs of the times, Nomads, Residents of new York, Denizens of Bruxelles … rapportant les pancartes en carton exprimant la détresse de ces laissés pour compte, l’artiste les confronte à des portraits d’une beauté sidérante, où la crasse, le dénuement sont sublimés comme on le faisait des figures de saints baroques.
Jamais voyeur ou misérabiliste, encore moins larmoyant, Serrano plaque sous nos yeux trop facilement aveugles, la vérité d’une humanité déchue et sanctifiée par la marginalité : la cruauté du monde n’en est que plus flagrante et on se prend à espérer, en contemplant ce spectacle, la venue d’un nouveau messie éradiquant les marchands du temple pour sauvegarder les plus faibles et les justes. Puis l’on se dit alors qu’au bout du compte, c’est notre rôle à tous d’empêcher cela ? L’art, alors, devient, et c’est sa fonction depuis qu’il est, prise de conscience, totale, brutale, poignante. On ressort de cette exposition différent, touché, honteux et ébloui, par la grandeur ainsi mise en lumière dans les profondeurs insondables de l’adversité.
Et plus si affinités