On pourrait se le demander en scrutant les tableaux de Tiepolo, Guardi, Longhi, Canaletto et leurs confrères moins glorieux mais tout aussi prolixes. C’est qu’aujourd’hui encore on perçoit la Sérénissime comme un gigantesque Carnaval, où les masques enchaînent les farandoles au milieu des divertissements les plus variés, paillettes et plumes au vent. Abandonnons cette vision pour le moins légère et simpliste et rappelons-nous un instant l’intrigue du film Rouge Venise : au faîte de sa gloire, la République vénitienne exprime sa puissance déclinante via les plaisirs qu’elle offre et la culture qu’elle promeut.
C’est le propos de l’exposition Sérénissime orchestrée par le Musée Cognacq Jay que de faire tomber les masques et d’analyser ce rapport inattendu mais profond entre le pouvoir, politique et religieux, et la fête. Qu’il s’agisse de soirées privées ou de défilés officiels, de comédies ou d’opéras, de festins au cabaret ou de parties de jeu dans les casini des grands aristocrates, les distractions ne manquent guère qui constituent alors le fond de commerce touristique d’une cité mondialement réputée pour sa galanterie et ses vices. Les visiteurs, parfois de véritables personnalités, ne manquent guère qui se mêlent aux patriciens et au bas peuple dans une quête de dépaysement coquin qui peut parfois mal tourner.
Les meurtres sont monnaie courante, la prostitution se porte très bien de même que les maladies vénériennes, et l’on se fait facilement détrousser aux tables de jeu où les escrocs abondent. Cet aspect surprenant tranche avec l’aura d’un Vivaldi, d’un Goldoni et consort, aspect que les autorités de la ville tentèrent d’endiguer vigoureusement, réglementant avec sévérité ces ébats multiples pour canaliser les débordements qu’ils occasionnent sous l’anonymat des masques. Ce faisant, elles n’en facilitèrent pas moins l’émergence d’une véritable industrie de la culture, avec foultitude de salles de spectacle, promotion d’artistes célèbres dans toutes les disciplines et ancrage de la fête dans la logique urbaine.
C’est cette contradiction qui ressort du parcours pensé par Benjamin Couilleaux et Rose Marie Mousseaux, respectivement conservateur du patrimoine et directrice du musée. Un parcours scénographié en majesté par Alain Batifoulier et Simon deTovar du studio Tovar, qui jongle avec l’esthétique baroque et le trompe l’oeil pour restituer l’effervescence de la Venise d’alors, cette folie douce, cet étourdissement joyeux et insouciant. On appréciera l’originalité de l’exposé, l’occasion de redécouvrir par le menu et dans le détail les oeuvres des grands maîtres vénitiens, tout en profitant d’un cycle de conférence dédiées d’une grande pertinence et d’une playlist des musiques du temps particulièrement vivante.
Et plus si affinités
http://museecognacqjay.paris.fr/fr/les-expositions/serenissime-venise-en-fete-de-tiepolo-guardi