On se demande pourquoi cet opéra est resté si longtemps dans l’oubli. Mozart le compose en 1791 en parallèle de La Flûte enchantée, alors qu’il est malade, perclus de dettes. Pourtant sa musique y apparaît d’autant plus brillante que c’est un exercice imposé, où il n’a guère le loisir de multiplier les fantaisies. Mais peut-on imposer quoi que ce soit au divin Mozart ? La Clémence de Titus a beau traiter d’un sujet rigoureux, ses accents sont virtuoses, qui par delà l’intrigue politique, s’interrogent sur le cœur humain, ses faiblesses et ses forces.
L’intrigue justement, inspirée du Cinna de Corneille, ancrée dans le Bérénice de Racine : tout débute alors que Titus vient d’être couronné empereur, et ce choix lui a coûté cher, très cher : Bérénice, son aimée, a dû partir, un empereur romain ne peut épouser une princesse étrangère. Dévasté, Titus a tout juste endossé sa charge qu’il doit faire maintenant face à la traîtrise de son meilleur ami Sextus, qui tente de l’assassiner, sur ordre de la future impératrice, la jalouse et venimeuse Vitellia. Là c’est la goutte d’eau qui fait déborder le cœur déjà meurtri du souverain. Pourra-t-il pardonner ?
Il le pourra, il l’imposera même, après bien des débats intérieurs. c’est que finalement il refuse de perdre cette étincelle d’humanité qui le rattache au monde ; il ne veut pas être un monarque punitif, s’accroche à ce dernier espoir. Si en cet instant, il conquiert la fidélité d’un peuple séduit par tant de grâce et de détachement, c’est surtout lui-même qu’il respecte, ses valeurs, ce qui le définit comme sujet conscient. Et cela, Mozart l’a très bien saisi, ainsi que les complexités affectives qui mènent tous les protagonistes autour de lui : amour, amitié, fidélité, envie, frustration, haine … solitude surtout.
Le rationnel nécessaire à l’action de gouvernement ne fait guère le poids face aux mouvements désordonnés d’âmes aussi tourmentées. La musique de Mozart traduit ces états parfois outrés, par les mélodies, les voix, produisant ainsi certains des airs les plus savoureux de sont répertoires, les plus ouvragés et techniques également. Datée de 2014, la version jouée au Théâtre des Champs Élysées et retransmise dernièrement sur ARTE convoque cette exigence technique via l’orchestration du chef Jérémie Rhorer.
Sur le plateau on goûte toute la virtuosité des interprètes : Kurt Streit plante un Titus d’une humanité exemplaire, Kate Lindsey un Sextus dévoré par son amour malheureux pour Vitellia.
Julie Boulianne, Robert Gleadow, Julie Fuchs sont tout aussi chevronnés. Quant à Karina Gauvin, elle campe une Vitellia hystérique à souhait, grossière dans sa rage d’être repoussée, fragile dans sa démence. L’ensemble est mis en scène par … Denis Podalydès qui fait ainsi la jonction entre l’œuvre lyrique et ses sources dramaturgiques.
Le professionnalisme de la Comédie Française transparaît dans le choix de lecture ; extrait de son Antiquité initiale, la Rome de Titus est résumée aux salles d’un hôtel de luxe, où des personnages habillés dans l’esprit des 40’s vivent une passation de pouvoir des plus délicates. Le huis-clos n’en est que plus flagrant, dans ce décor très grand siècle dessiné par Eric Ruff, avec ces costumes d’une rare élégance tracés par Christian Lacroix.
C’est donc une production de haut vol, qualitativement irréprochable et profondément plaisant qu’on déguste ici : Mozart n’en est que rehaussé, dans une approche qui évoque à la fois les inconstances de Marivaux et les manipulations de Bourdet. Comment ne pas en redemander ?
Et plus si affinités
http://www.arte.tv/fr/videos/055954-000-A/la-clemence-de-titus