Le 9 juin prochain, les fantômes de Trisha Brown, Merce Cunningham, René Clair et des artistes aux doutes créatifs peupleront la première soirée d’un nouveau rendez-vous chorégraphique très prometteur, TREMPLIN, parcours d’auteurs chorégraphiques, initiée par l’association rennaise Danses à tous les étages. Présentation d’une structure qui milite pour la diffusion de la danse contemporaine en Bretagne et l’éclosion de précieux talents.
Si le nombre de compagnies de danse ne cesse de croître en France au fil des ans, ce qui augure de la vitalité et de la créativité du milieu chorégraphique hexagonale, elles sont légion à souffrir d’un manque de diffusion. La place toujours plus restreinte de l’art chorégraphique dans les saisons théâtrales et la frilosité des programmateurs misant sempiternellement sur les têtes d’affiche en sont les causes principales. Les compagnies émergentes, bien souvent réduites à jouer une fois voire grand maximum cinq fois une création mort-née, luttent pour montrer au public leur œuvre.
Patrick Germain-Thomas, chercheur, économiste et grand amateur de danse, explique que «le marché se caractérise par un déséquilibre chronique entre l’offre de spectacles et les débouchés quant à la diffusion. La programmation et le public de la danse contemporaine progressent considérablement dans les années 1980 et 1990, mais l’offre des compagnies augmente dans des proportions au moins équivalentes. L’écart entre le nombre de spectacles créés et les possibilités d’accueil de la diffusion reste donc toujours aussi grand. Les problèmes de diffusion se renforcent d’eux-mêmes car le déséquilibre entre l’offre et la demande entraîne les prix de cession des représentations vers le bas et empêche les compagnies de réaliser des bénéfices substantiels sur la diffusion de leurs spectacles.» 1
Afin d’élargir toujours plus un public souvent réfractaire à découvrir une danse contemporaine qu’elle estime, par méconnaissance, obscure, un gros travail en direction des spectateurs a été mené par les théâtres, associations militantes et compagnies de danse ces trente dernières années. Un travail «sans cesse à recommencer. L’effort de développement du public entrepris par les diffuseurs implique une collaboration avec les artistes, très fréquemment sollicités pour la mise en œuvre de programmes de sensibilisation ou d’actions pédagogiques.»2
L’association rennaise Danse à tous les étages œuvre depuis 1997 pour le rayonnement de la danse contemporaine en Bretagne et Pays de la Loire. Labellisée « scène de territoire pour la danse » elle s’organise autour de deux pôles : le soutien aux artistes chorégraphiques et des actions artistiques sociales (notamment en proposant la danse comme levier de l’insertion des personnes dans la cité). Le premier de ces pôles donnera lieu le vendredi 9 juin au Triangle, Cité de la danse à un événement organisé en marge du festival AGITATO, rendez-vous chorégraphique incontournable de la capitale bretonne. TREMPLIN, parcours d’auteurs chorégraphiques est un bel exemple de soutien aux chorégraphes locaux et au développement de leur ancrage dans leur territoire. Par la coproduction mutualisée de deux œuvres chorégraphiques de la Région Bretagne et d’une œuvre chorégraphique hors Bretagne par an, la diffusion partagée avec des lieux en Bretagne, le repérage et accompagnement d’artistes émergents avec le réseau national « Les Petites Scènes Ouvertes » et enfin la coordination d’un réseau pour le développement de la danse en Finistère (Résodanse au bout du monde), Danse à tous les étages – dirigée par Annie Bégot – ne ménage pas ses effort et fait souffler fort le zef chorégraphique sur toute la Bretagne.
Avec la première édition de son nouveau temps fort TREMPLIN, l’association présente cinq de ces poulains dont la rennaise Florence Casanave, le nantais Laurent Cebe et le normand Ashley Chen. Un programmé aussi chamarré que jouissif, implacable exemple que la relève est belle et bien présente dans l’Ouest de la France.
Ainsi Florence Casanave présente deux courtes pièces en ouverture de ce TREMPLIN dont un hommage appuyé à Trisha Brown, disparue en mars dernier. En s’inspirant de la pièce Water Motor (1978), Youtubing propose une relecture de l’œuvre de l’immense chorégraphe américaine qui danse en fond de scène via une vidéo. Sa seconde pièce, elle, prend sa source dans le court-métrage surréaliste de René Clair Entr’acte. Avec Release Party, dans une scénographie composée par Vitrine en Cours (collectif de projectionnistes), trois danseuses, un musicien et la chorégraphe s’attachent à transmettre les sentiments de vertige, de vitesse, d’absurde et d’onirisme propres au film réalisé en 1924. Pas de doute, Florence est une artiste sur qui il va falloir compter !
Des doutes, certains en sont pétris. Et Laurent Cebe s’en saisit considérant que le doute génère l’acte artistique car il faut «faire un spectacle en assumant de ne pas savoir ce qu’il va devenir». Dans Des Gens qui doutent six interprètes tentent d’exister pleinement, maintenant et à l’avenir, avec leurs doutes comme certitude. Ils tentent, font et défont sans cesse. In fine, le chorégraphe montre que la légèreté est quelque chose de complexe. Bien vu !
En fin de soirée, c’est le chorégraphe Ashley Chen, certainement le plus « repéré » des artistes de ce TREMPLIN qui propose Chance, Space and Time tout droit inspiré de feu Merce Cunningham et de son acolyte-compositeur John Cage. Avec cette pièce, l’ancien danseur du chorégraphe américain décédé en juillet 2009 confirme sa volonté de faire de l’acte chorégraphique un émoi permanent devant l’imprévisible. «Je m’intéresse aux différentes manières dont nous percevons un mouvement modifié en fonction des ambiances explique t-il. L’idée est de s’interroger aussi sur la façon dont un danseur traverse l’espace scénique et à partir de là, créer une architecture spatiale avec le mouvement. » Porté par trois interprètes étourdissants de précision et de rapidité jouant à jeu égal avec la lumière et la musique, C, S & T est une pièce vive et jubilatoire qui confirme l’immense talent du jeune chorégraphe basé à Maizières en Normandie.
En préambule de cette soirée sera également présenté un work in progress de Alina Bilokon et Léa Rault aka Pilot Fishes, prix du Public et le troisième prix du jury d’artistes 2014 du très prescripteur Concours (Re)connaissance. Belle soirée en perspective donc que ce TREMPLIN bienveillant. Cette plateforme, précédée en après-midi d’une rencontre pour les professionnels du spectacle, espère « inventer de nouveaux modes d’accompagnement et dessiner des parcours artistiques pour l’inscription des artistes chorégraphiques et leurs oeuvres sur nos territoires et dans les réseaux professionnels ». On lui souhaite d’y parvenir et continuer à nous offrir des soirées partagées aussi denses.
Et plus si affinités
http://www.danseatouslesetages.org
1Le soutien public à la danse contemporaine en France : vers une démocratisation de l’exigence artistique (1975-2010)
2Le soutien public à la danse contemporaine en France : vers une démocratisation de l’exigence artistique (1975-2010)