À sa sortie en février 2017, Chez nous, le film du réalisateur belge Lucas Delvaux a fait couler autant d’encre qu’il a fait hurler. Tandis que les dirigeants du FN exprimaient leur colère devant ce qu’ils considéraient comme une diffamation et une caricature (preuve que le film touchait juste ? ), les critiques déploraient le caractère outrancier et maladroit de cette fiction analytique. Quelques mois plus tard, à l’heure de présidentielles houleuses, le documentaire Retour à Forbach déboulait sur les écrans, pour corroborer le regard de Delvaux et affirmer que l’outrance finalement est réalité quotidienne dans une région oubliée, dévastée et douloureuse.
Une fille du cru
Chez nous donc, et en dépit des mépris multiples, sonne juste au point d’en devenir oppressant et celadèss les premières séquences. Au centre de ce suspens politique, une jeune infirmière à domicile (Emilie Dequenne parfaite dans cet exercice de déséquilibre), aimée de tous dans ce Hénart du Pa-de- Calais profond, une fille du cru, gentille, ouverte, apolitique certes, mais confrontée quotidiennement à la détresse d’une population dont elle assure le trait d’union, entre les générations, les origines, les religions. Inconsciente de la manne qu’elle représente, elle se fait accrocher par son médecin de famille (André Dussolier incarne ce vieux militant prêt à tout pour que son clan s’impose), un notable au passé trouble, collaboration, appartenance à l’extrémisme de droite, collusion avec les néonazis, on ne sait, néanmoins très apprécié, car présent, serviable… Doucement mais sûrement, il abuse de sa fibre humaine afin que la demoiselle devienne la tête d’affiche des municipales pour un parti populiste qui ressemble de près au FN, à l’UPIK et consort.
Un inexorable glissement
À partir de ce moment, la gente dame ne s’appartient plus, et le chaos entre dans sa vie parentale, familiale, amoureuse, amicale et professionnelle. Car si certains autour d’elle apprécient largement son implication, révélant au passage un racisme doublé d’un repli identitaire aussi sidérant que déplacé, d’autres vont refuser cette annihilation dont on comprend rapidement qu’elle s’orchestre dans une atmosphère idéologique, économique et sociale propice à pareilles dérives. Subtil, Delvaux place ses indices dans une musique, un drapeau, une inscription au fronton d’une salle de sport, les hurlements d’une foule de supporters qui ressemblent à s’y méprendre aux saluts des stades nazis à Nuremberg. Progressivement, on réalise que tout, paroles, symboles, attitudes, dans cet environnement, conspire pour favoriser un inexorable glissement.
Méthodes quasi-sectaires
Ce background trahit les méthodes quasi sectaires d’un parti enclin à la violence, encadré par des milices adeptes de la ratonnade, adepte des pressions et des menaces, voire de l’éradication physique de ses transfuges comme de ses opposants. Sans compter les manipulations, les mensonges, les coups bas, l’instrumentalisation des êtres sans aucune considération pour leurs existences… La démonstration est forte, malsaine au dernier degré, par certains points similaires à la magnifique websérie Face au diable, qui traite du même sujet du reste : la banalisation du mal à l’œuvre en ses débuts, avant qu’Hannah Arendt n’en fasse l’étude philosophique, cette métamorphose graduelle qui amène à écarter petit à petit toute humanité, toute écoute de l’autre, tout dialogue pour embrasser des idées nauséabondes jusqu’à l’intolérable.
Un tableau plausible
Pour sûr, l’ensemble fait peur car il présente un tableau plausible, décortique une lente décomposition, dont les responsabilités sont multiples : capitalisme sauvage et voyou qui accélère la mort économique de la zone et l’explosion du chômage, absence d’éducation et de culture, désertion des institutions et de l’État, montée des fanatismes religieux, enfermement dans des ghettos, … tout un socle de désespoir à exploiter quand il faudrait le combattre. D’urgence.
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