Dior, couturier du rêve: la magnifique exposition orchestrée par les Arts décoratifs pour célébrer les 70 ans de la maison Dior est un chose, mais il faut aussi évoquer en parallèle les rouages de l’imposante enseigne, sa philosophie et ses règles. Pour ce faire quoi de mieux que le documentaire Dior et moi?
Sorti en 2015, le film de Frédéric Tcheng prend un éclairage nouveau à la lumière magique des costumes exhibés tout en nuançant la déferlante de strass et de flonflons qui nous enchantent mais ne doivent pas nous aveugler. Car si Dior fut un couturier d’exception, il a aussi bâti une entreprise avec des employés, des clients, un savoir faire, une image. Et une réputation. Le tout acheté par l’empire du luxe LVMH, comme un fleuron du glamour à la française, un pilier de l’histoire de la mode.
Créer du rêve … et le vendre. La logique est simple, redoutable, concrète : sous les jupons et les voilettes, c’est une guerre économique qui se mène, à coup de défilés et de campagnes de communication. Ainsi le recrutement d’un directeur artistique est une véritable affaire d’état et un challenge épique. Car le créateur élu, s’il est ainsi reconnu et élevé, se retrouve avec la mission presque sacrée de renouveler le style Dior sans en trahir les fondamentaux. Gageure que Raf Simons doit endosser et transcender après sa nomination en 2012.
Le couturier belge, chantre du minimaliste et de l’épure, adepte de l’art contemporain, d’architecture comme de musique, se retrouve bombardé DA chez Dior suite aux frasques et au renvoi de Galliano. Jusqu’à présent il a évolué dans le prêt à porter, c’est un homme discret, un bourreau de travail à la fois sensible, rigoureux et introverti. Le voici devant les couturières des ateliers « tailleur » et « flou », saluant humblement … il a huit semaines pour inventer la collection qui redorera le blason de l’enseigne tout en la propulsant dans une nouvelle ère.
Huit semaines, deux mois … là où généralement quatre suffisent à peine à concocter un défilé qui se tienne pour la Fashion Week estivale. Tcheng alors saisit la lueur de panique, la sueur froide de Simons, visitant les locaux, prenant doucement ses marques, tandis que les anciennes, blouse blanche, aiguillée besogneuse et mains de fée, décident en femmes pleines de bon sens et de cœur chaleureux : « On va l’aider ! » A partir de là, tout, doucement mais sûrement, s’enchaîne, l’inventivité s’active, méthodique, fascinante.
Et régulièrement contrariée, coups de stress et crises de larmes à l’appui. Car Dior c’est un DA, une équipe … et un chiffre d’affaire. Une cliente new-yorkaise mécontente de sa robe, et la première d’atelier vole vers Big Apple pour rectifier l’impair, provoquant l’ire du styliste privé de cette précieuse adjuvante en pleine séance d’essayage. Plus tard ce sera le moment de décorer la salle de défilé de murs de fleurs avec cette question obsédante : le PDG acceptera-t-il de financer ce budget pharaonique ?
Le PDG acceptera, augurant de trois années de collaboration fructueuse qui laisseront la maison Dior en excellente santé, sans que les mannes du fondateur en soient contrariées, lui dont tous, avenue Montaigne, sont persuadés qu’il hante les ateliers pour surveiller que le travail est convenablement effectué selon SA vision des choses. Cette aventure humaine, Tcheng la filme avec humour et humilité, en retrait, sans parti pris, saisissant les joies, les déceptions, les tensions et les élans comme ils viennent.
Des moments de troubles qui passent. Presque nécessaires à la mécanique de cet ensemble bigarré que nous voyons s’acharner dans ce fabuleux contre la montre. Regardez ce film, revoyez-le, avant ou après avoir visité l’exposition. Vous ne percevrez plus ces tenues de la même façon, quand vous aurez saisi l’effort qu’elles demandent, l’enjeu qu’elles constituent. Et le formidable plaisir qu’elles procurent, le respect ô mérité qu’elles suscitent.
Et plus si affinités