Sur la scène de la Chapelle du Verbe incarné – Théâtres d’Outre-mer qui fête ses 20 ans en terre avignonnaise trônent 2 cagettes en bois et un projecteur renversé symbolisant un brasero. De la pénombre émergent deux corps en errance sur une musique percussive hypnotique, ceux des deux danseurs Hubert Petit-Phar et Jean-Claude Bardu protagonistes de Ré(z)oné, nouvelle création de la compagnie pantinoise La Mangrove dirigée par Delphine Cammal (ici à la mise en scène) et Hubert Petit-Phar.
Assis, les yeux dans le vide ou cherchant vainement un visage, un village, un mirage auxquels s’accrocher, nos deux hommes aux physiques sculpturaux incarnent la désolation du déracinement. « Là et là. Et puis là » crie l’un des danseurs pointant du doigt un horizon fictif que peine à percevoir son compagnon. Il faut ici trouver son ancrage pour supporter le réel.
Comment vivre loin de sa terre originelle quand on vous y a arraché ? Ré(z)oné questionne, alors que les nations se crispent, l’infinité des relations possibles et imprévisibles entre les cultures, les lieux et les temporalités, les métamorphoses, leurs rythmes, leurs limites et leurs horizons. La pièce célèbre surtout la résilience d’un peuple qui s’est relevé – non sans trauma – d’un des épisodes les plus sombres de l’humanité : le commerce triangulaire. Elle rend hommage à un peuple qui s’est réinventé, puisant dans le meilleur de sa culture.
Par la poésie, la danse et la musique, cette humanité incarnée par deux danseurs aux gestes fluides et aériens, tour à tour cadencés ou chaloupés, sensuels en diable, se relève. Il faut voir Jean-Claude Bardu et Hubert Petit-Phar s’apprendre mutuellement leur pas de danse, subtil mélange d’afro, de jazz et de contemporain qui les mènent bien souvent à la transe. Comme frères, ils cheminent ensemble vers le salut, se soutenant mais jamais ne se portant (question de pudeur ?). D’ailleurs étonnant que cette pièce questionnant et affirmant les racines jamais ne flirte avec le sol, ni l’élévation d’ailleurs. Point de portée ici.
De portée politique, par contre il est question. À deux reprises, les danseurs reproduisent cette image saisissante des poings levés des athlètes Tommie Smith et John Carlos aux JO de 1968, soutien explicite au mouvement identitaire des Black Panthers. C’est furtif et suffisant pour donner une couleur autre que poétique à Ré(z)oné. Subtile aussi que la partition musicale de Serge Alidor, surnommé the Caribbean Guitar Hero, qui synthétise en cinquante minutes quasiment toute la musique noire, de la percussion afro à la mouvance funk.
Belle découverte que ce Ré(z)oné qui passé son passage dans le OFF d’Avignon s’apprête à tourner en France, Afrique et Amérique la saison prochaine.
Et plus si affinités
http://www.verbeincarne.fr/fr/dansez-2-rezone-15-au-19-juillet/