Bénissez-moi mon père, parce que j’ai péché … profondément … carrément … sous le prétexte fallacieux que j’étais débordée de taff, que je voulais terminer notre année de publication sur un coup d’éclat, j’ai procrastiné comme une galeuse quoi … j’ai planté la tente rédactionnelle devant la restitution de l’interview de Schlaasss, trouvant tous les prétextes possibles pour retarder l’échéance. A deux jours de partir en vacances je peux plus reculer. Je dérushe … et je pleure.
Roland Barthes lu par Lydia Lunch ?
Parce que je me retrouve à raconter un entretien, difficile à cerner et à relater. Non pas qu’ils ont foutu le bordel pendant notre échange, les Schlaasss, au contraire. Vous les voyez s’éclater dans les locaux de France Inter, se chauffant sur « No Drug Yourself » avec force gesticulations et insultes – au passage une petite exclu dont ils nous gratifient, merci les chéris, on vous aime ? Eh bien, c’est un tout autre visage que je découvre en pointant mon museau dans les backstages du Trabendo. Daddy Schwartz au civil arbore la silhouette des Apaches de Belleville, quant à Charlie, elle mélange le Tshirt de la métalleuse et les compensés dorés de la disco lady.
Pas de Kiki ni de volvo à l’horizon même s’ils revendiquent fortement ces attributs marketing aux forts relents sexués, dont ils m’expliquent l’équation. Volvo = vulve mais aussi pénis et force virile, Dauphin = utérus, Kiki = régression à l’ère de l’anal et de l’exploration du monde par le labial … Les paroles de «Kiki » prennent soudain un sens nouveau, comme une relecture à la Lydia Lunch des Mythologies de Roland Barthes, une synthèse express et concise du Mercator, bible sacro sainte du communicant et du pubard. Si je résume en termes clairs, cela donne : économie, amour, réussite, … le monde moderne tourne autour de l’égo sexuel, et c’est suffisamment grave pour qu’on en souligne le caractère malin.
Histoire de rotules meurtries
D’entrée j’évite le numéro d’anguilles défoncées que le binôme se plaît à servir habituellement aux journalistes pour me retrouver à discuter … de leur parcours ? Rescapés des écoles d’ingé et de commerce, les deux loulous se rencontrent … dans un centre de rééducation. Trois semaines à remettre en place des rotules meurtries, … voici la genèse de Schlaasss, et là aussi on comprend mieux la structuration du discours derrière le flot ordurier, le lancer de pipi caca verbal coutumier de chaque concert. Poisson/Verseau : tous deux se situent astralement entre la flotte et l’air, l’un batifolant dans le courant généré par l’autre … et vice versa. Deux profils d’une même entité, volontairement bisexuée, androgyne. Queer revendiqué, punk dans la posture, allergie affirmée voire entretenue aux conventions.
Opposés et complémentaires, les deux loulous prônent l’égalité des sexes, jusque dans l’écriture. Lequel des deux est le plus romantique, le plus trash ? Là aussi géométrie variable, exemple avec Charlie capable de me parler d’une séance de maquillage avant passage sur plateau télé où elle découvre comment des sourcils bien tracés rehaussent le regard pour rebondir ensuite sur la série Buffy tueuse de vampires, selon elle parfaite expression de l’héroïne badass ultra féministe s’accaprant les attributs masculins de la victoire. Quant à ses sources, Daddy me cite du tac au tac Badoit, Vichy Saint Yorre, tout ce qui est « pétillant » … des jeux de mots comme ça, ils vont m’en faire plusieurs, jonglant avec la polysémie comme des otaries avec un ballon (les otaries c’est bien aussi, ça change des dauphins et des kikis).
Subventionner « Pupute » !
Le discours devient plus incisif quand on aborde le climat politique ; généralement opaque sur la question, le duo s’accorde à dénoncer la tatchérisation rampante des esprits et des institutions. Si la campagne présidentielle s’est avérée «beaucoup moins drôle sans François » rigolent-ils en coeur, c’est avec curiosité qu’ils attendent les rebondissements de la nouvelle saison du Pénélopegate, tout en stigmatisant sévèrement le détricotage culturel systématique opéré par Wauquiez et ses séides sur la région Rhône Alpes. Face à ce hold up, les Schlaasss répondent à la pirate, ils rafleront tout ce qu’ils pourront, se bidonnant à l’idée de faire subventionner des grenades dégoupillées comme « Pupute », regrettant que Saint Etienne leur berceau ne devienne pas le nouveau Berlin qu’il mérite d’être, avec fiestas alcoolisées jusqu’aux portes de l’aube et friches culturelles tous azimuts.
Pas de pitié donc, les deux complices n’ont pas fini de cracher sur une régression sociale qui les révulse, un appauvrissement culturel néfaste. Pour autant, ils ne s’engagent pas ouvertement pour une cause, s’ils sont militants, ce ne sont pas des guerriers, ils l’avouent eux-mêmes. Surtout ne jamais être lisible : voici leur credo, doublé d’un sens profond de la provo et de l’autodérision. Pour le coup, ils sont d’une lucidité à faire peur, même s’ils adorent ce jeu des apparences contraires qu’ils alimentent régulièrement, incapables de se retenir. Ce qui fait ressortir les dysfonctionnements autour d’eux. Leur côté queer ? Il choque dans les premières parties des concerts rap, tandis que leur spoken word est régulièrement recadré dans les événements queer où ils se produisent.
Casseurs de codes
C’est leur pouvoir de super héros à eux : casseurs de codes, ils font exploser les cadres, prennent les valeurs au collet. Ils s’amusent avec les limites, quitte à questionner les leur. Qu’est-ce qui définit ce qui est convenable ou pas ? Qu’est-ce qu’une règle artistique, esthétique ? Qui a déterminé que chanter juste, c’est bien ? Et chanter juste, c’est quoi ? Charlie m’en sort deux trois autres comme ça, dadaïste dans l’âme. Ainsi leur première cible, c’est eux-mêmes, le milieu créatif dans lequel ils évoluent. Le canular Sony où ils ont annoncé qu’ils étaient signés par la maison de disques ? Beaucoup de leurs fans y ont cru, ce qui leur a valu pas mal de critiques totalement infondées du reste mais particulièrement tenaces.
La provo encore, toujours, comme axe de réflexion, questionnement constant. Des limites ? «Trop de Ricard tue la provocation » réfléchit Daddy, citant Gainsbourg et Renaud comme contre exemples. Nullement affolés à l’idée d’en découdre avec Volvo ou Mattel si l’envie venait aux deux marques de les emmerder avec leur détournement de produits emblématiques, les Schlaasss sont par contre beaucoup plus étonnés et concernés par la virulence des réseaux sociaux. Il suffit d’un post pour que la toile s’enflamme. Du coup, tout le monde se dit provo, fait de la provo, n’importe comment, sans calculer les retombées, pour faire de l’audience, du fric.
Le live à s’en casser les côtes …
Bye bye discernement, le youtuber incarne la provo 3.0 … et la provocation devient posture obligée. Pour le coup, les Schlaasss observent le phénomène avec un regret évident, car le bashing nominatif ce n’est vraiment pas leur truc (sauf peut-être avec Hanouna, juste retour des choses nous murmure un petit ange punk plein de bon sens). Par contre la lueur d’espoir portée par les festoches indés qu’ils sillonnent, ils savent l’exprimer, désignant ce circuit comme un potentiel de renouveau et d’ouverture d’esprit. Le live donc … sortir du studio pour affronter la foule, rencontrer les gens, leur en coller plein la tête … alors que nous discutons ferme, un techos vient siffler le moment des balances. Soudain mes loulous sont beaucoup moins attentifs, le ring appelle le boxer.
En dix minutes c’est plié, Schlaasss investit la scène du Trabendo pour équilibrer le son. Travail au cordeau, si les corps commencent à s’agiter, les voix se placent, les textes se scandent, on ne rigole pas avec le spoken word. Si Charlie saute de partout – on comprend qu’elle se soit pété des côtes lors d’un concert), nous n’en sommes pas encore à la déferlante live, dont j’avais eu un échantillon au PDB. Daddy, faussement calme, commence à sillonner l’espace, le temps de chauffer son organe vocal, les accessoires s’étalent sur la table centrale, dauphin en peluche, Kiki et autre bizarreries qui transforment le lieu en chambre d’enfant possédé ou en cabinet de curiosités porno. Dans une heure, ils ravageront l’endroit. Je m’éclipse.
Conclusion qui n’en est pas une
Bénissez-moi mon père, car j’ai réussi à boucler ce p…. d’interview. Osannah ! Bien évidemment à la relecture, je me dis que je suis à côté de la plaque, que rien ni personne ne peut, ne doit cerner ces comparses, qui se jouent des conventions et se foutent de l’image qu’on se fait d’eux. Tant mieux. Je repars avec en tête une phrase de bon sens prononcée parmi les autres et qui en dit long sur l’équilibre de ces deux loulous. Nous évoquions la condition d’artiste à l’heure des coupes budgétaires et du tout numérique ; Charlie et Daddy dissertent rapidement sur le sujet pour conclure avec raison : « Nous ne sommes pas des réfugiés syriens ». Tout est dit … pour l’instant.
Merci aux Schlaasss pour ce moment de calme avant la tempête, leurs réponses à triple quadruple sens, le thé, la confiance, l’échange …
Et plus si affinités
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