Quel choix de vie avez-vous quand vous naissez bossu et laid, dans une famille pauvre, avec une mère épouvantable et un père qui se fait éventrer à coup de soc de charrue, en prime dans un XVIIIeme siècle finissant et révolutionnaire ? Voici l’équation que le jeune Victor Renard va devoir résoudre pour survivre, avec comme solution d’embrasser la carrière équivoque d’embaumeur. Et Isabelle Duquesnoy de broder à partir de ce schéma une confession haute en couleur, grisante par ses excès et ses révélations.
Héros romantico-benêt et trafic de dépouilles
L’auteur puise dans l’atmosphère des récits de Jean Teulé, de Sundskin avec Le Parfum pour conter l’initiation particulièrement tortueuse d’un héros romantico-benêt qui trouvera son salut dans la mort d’autrui. Avec précision, la romancière relate les techniques jadis usitées pour retaper les cadavres en amont de leurs funérailles, … et les petits à côtés pratiqués par les professionnels, entre trafic de dépouilles et vente d’organes aux peintres avides de rehausser leurs pigments à grand renfort de cœurs aristocratiques.
L’anecdote est véridique, et nous voici plongés dans d’autres mœurs, même si l’envie de réussir, de s’enrichir et d’aimer demeure la même, éternelle et dangereuse. Victor, perpétuel candide à l’image du héros de Voltaire, n’en finira pas d’apprendre les leçons de cette chienne de vie, malgré la richesse accumulée, la réussite sociale, … plus dure sera la chute, qu’on attend, qu’on pressent, absurde et tragique, tout au long de ce véritable déballage entrecoupé de malaises peut-être feints et de digressions teintées par la maladresse apparente du personnage.
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Une écriture folle et truculente
Car de révélations en explications délivrées à des juges dont l’attitude outragée ne peut cacher un fond de voyeurisme hypocrite, l’ambiguïté de Victor transparaît, victime ou manipulateur, d’autant plus qu’il parle à la première personne, sans jamais de réponses audibles, dévorant tout l’espace d’un récit où la violence est omniprésente, banalisée en ces temps de cruauté. Victor pourtant semble dépasser ces horreurs par le délit commis, une transgression ultime qui le précipite dans les abîmes.
Qu’adviendra-t-il alors de lui ? Peu importe au fond, ce qui impacte le lecteur dans ces lignes, c’est la truculence folle de l’écriture, des personnages foisonnants et hystériques, à l’image d’une période de profonds basculements, dans ce siècle qui perd ses Lumières et la raison. Rien, même l’amour n’a de sens dans ce pandémonium, si ce n’est la mort… et encore ?