Dante 01 : Caro, l’enfer et l’espace

Toujours dans le sillage de la rétrospective Caro/Jeunet initiée par la Halle Saint Pierre, nous plongeons tête baissée dans la filmographie de Caro. Le camarade de Jeunet a en effet tâté de la réalisation, avec à son actif un nombre conséquent de courts métrages, de clips et ce film titré Dante 01, ovni cinématographique accouché en 2008, mais qui ne cesse d’interpeller par son esthétique, sa qualité et sa thématique.

Le futur, aux confins de l’espace, une station spatiale baptisée Dante 01, installée dans le voisinage d’une planète de feu, un asile psychiatrique stellaire pour six criminels psychopathes hautement agressifs sous la garde d’un directeur, deux agents de sécurité, une psychiatre. Arrivent une scientifique mystérieuse, avec un nouveau patient, incapable de parler, de réagir, en état de choc … Saint Georges ainsi baptisé par ses nouveaux camarades à cause du tatouage qu’il arbore sur le bras … et parce qu’il porte la lumière divine ?

Dans cet espace clos, labyrinthique, le statu quo est soudainement rompu, qui équilibrait les relations entre détenus et surveillants, la hiérarchie des responsabilités et des ordres, les protocoles de soins. Car la petite chercheuse froide comme la glace est venue en ces lieux peu amènes pour pratiquer des expériences douteuses, censées anéantir la folie de ces hommes en les castrant cérébralement. A l’inverse, Saint Georges ouvre la voie de la rédemption par le miracle, véritable dévorateur du Mal.

Témoins de ce combat entre la science sans conscience et la foi absolue, le corps carcéral, Charon, Perséphone, CR et BR … oui nous sommes en enfer, dans les premiers cercles, cet enfer hérité des grecs puis remodelé Dante au XIVeme siècle dans La Divine Comédie, dans une vision qui va bouleverser l’imaginaire des générations futures, recomposer de fond en comble la perception de l’au-delà. Caro s’attaque donc à une matière complexe bien que déjà très usitée, dont il cherche à extraire l’essence en la précipitant dans l’espace-temps, s’adossant à son expérience de dessinateur de BD, son passage chez Métal Hurlant et Fluide Glacial.

On pourrait citer comme inspiration filmique 2001 L’Odyssée de l’espace, Event Horizon ou Vol au dessus d’un nid de coucous. Mais ne l’oublions pas : « L’enfer c’est les autres » selon Sartre, … et soi-même ajoute Caro, soi-même face à la démence, qu’elle soit personnelle ou partagée, par un groupe, par une société, par une civilisation, une espèce. Microcosme, Macrocosme, infini, petit ou grand, selon Pascal … L’intrigue, ciselée avec un certain Pierre Bordage dont nous avons récemment chroniqué le nouveau roman Tout sur le zéro, ne pose pas de question, n’apporte aucune réponse. Elle est apologue, exemplum, mise en abime du sacré en action.

Au spectateur de formuler ses interrogations, de partir en quête de ses zones d’ombres, reflétées par le devenir de ces personnages en crise. Le casting ici est essentiel … et de belle, très belle facture : Lambert Wilson incarne un Saint Georges christique, supplicié, salvateur, Dominique Pinon, Bruno Lochet, François Levantal, François Hadji-Lazaro, Lotfi Yahya-Jedidi, Yann Collette prêtent leurs traits et leurs profils à cette équipe de criminels avides de salut. Linh Dan Pham, Gérald Laroche, Antonin Maurel, Dominique Bettenfeld, Simona Maicanescu interprètent scientifiques et gardes.

Une belle brochette d’acteurs qui tissent un univers en perpétuel déséquilibre, malsain, prenant, étouffant même, dont on ne peut échapper que par la confrontation avec ses démons. La réalisation très dépouillée, la sobriété du propos, les images sculptées par le travail des lumières et des couleurs, des matières, contribuent à alimenter l’ADN de ce récit étonnant, fait pour déstabiliser, employant les codes du film de science-fiction dans l’idée de construire une fable humaniste sur les mystères de la croyance et de la force intérieure.

Et plus si affinités

http://www.wildbunch.biz/movie/dante-01/

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com