Lorenzaccio: le drame romantique par excellence, magnifié par un Musset au mieux de sa forme ! Une myriade de personnages, des changements de décors en pagaille, une écriture précieuse et torturée, des tirades à n’en plus finir … et Florence à l’heure où la Renaissance italienne doucement s’essouffle, où la République devient duché, où les Médicis, de protecteurs de la cité en deviennent les bourreaux. Au centre de ce chaos, un héros sombre, maudit, cocktail explosif mêlant la mélancolie de Hamlet, l’ironie tragique d’un Néron, la volonté aveugle d’un Hernani.
Complice des frasques du duc fantoche, son cousin bâtard Alexandre, Lorenzo en deviendra l’assassin, abusant de sa confiance pour le terrasser là où les conjurés les plus nobles, les plus droits ont fait chou blanc, condamnés à l’exil ou à l’échafaud. Lorenzo agit-il par conviction politique ? Parce qu’il cherche à donner un sens à sa vie misérable ? Ou simplement parce qu’il sert de reflet à son auteur, Musset le fantasque, le lettré qui interroge trop les mystères de la vie ?
Musset qui pique l’idée à sa chère George Sand pour accoucher de cinq actes complexes, truffés d’anachronismes et d’inexactitudes historiques, mais chargés d’émotions, de belles paroles, de doutes, de poésie. Le tout injouable, vu les moyens scéniques qu’il faudrait mobiliser : pas pour rien que le texte sera édité dans les premier tome de Un Spectacle dans un fauteuil. Nous sommes en 1834, l’œuvre ne sera jouée que 62 ans plus tard, en 1896, avec une Sarah Bernhardt claudicante, quinquagénaire et flamboyante dans le rôle titre. Un spectacle qui fit date … au même titre que la mise en scène époustouflante de Zeffirelli à la Comédie Française en 1976.
C’est cette dernière que les éditions Montparnasse ont fixé sur DVD, préservant pour la postérité le souvenir de cette version d’anthologie. Aux commandes donc Zeffirelli, réalisateur rompu aux arcanes du réalisme par un certain Visconti dont il fut l’assistant, et qui inscrit sur son pedigree La Mégère apprivoisée avec le couple mythique Taylor/Burton ainsi qu’un superbe Roméo et Juliette, le tout en costumes d’époque, inspirés des maîtres italiens. Une influence qui dicte la tournure de ce Lorenzaccio emmené de main de maître avec toute la troupe de l’Illustre Maison au garde à vous. Rien que des noms de prestige : Jacques Eyser, Michel Echeverry, François Beaulieu, Claude Giraud, Jean-Luc Bouté, Annie Ducaux, Catherine Salviat, Geneviève Casile, autour d’un Francis Huster famélique et possédé …
Et comme présence tutélaire, Louis Seigner impérial et humble, à la diction si exceptionnelle, qui prête vie à ce texte parfois trop ampoulé, trop labyrinthique, détaché de la parole du quotidien. Pour décor, une muraille sombre et abrupte, de celles des palazzi florentins, forteresses imprenables que l’art animait de l’intérieur. Les dispositifs scéniques en font la porte d’une demeure cossue, une salle d’apparat, une chambre intime, le pourtour d’un jardin où les ténébreuses architectures vénitiennes qui verront la fin du héros en fuite. Tentures chamarrées, peintures, miroirs, encensoirs et vases précieux, tout s’anime au gré des accessoires et des meubles somptueux qui surgissent et disparaissent comme par magie, tandis que les mélodies de Maurice Jarre soulignent la violence latente qui submergent ces rues et ces cœurs.
C’est une véritable leçon de théâtre que nous prenons trois heures durant, pour un spectacle d’exception, une production d’envergure pour la première retransmise à la télévision française, ce qui fait date.
Et plus si affinités
http://www.editionsmontparnasse.fr/p1283/Lorenzaccio-Musset-DVD