L’intérêt d’un festival c’est qu’on peut y dresser des parallèles. En l’état, Écrans Britanniques 2018 met en regard le point de départ et l’actualité du travail d’acteur de Gary Oldman en programmant Darkest hour et Sid and Nancy. Et il n’y a pas à dire la comparaison résonne comme une gifle, tant l’acteur n’hésite pas à s’impliquer à la limite de ses forces pour épaissir ses personnages. C’est notamment remarquablement dans le film de Alex Cox sorti en 1986 pour raconter la lamentable histoire de Sid et Nancy.
Difficile de ne pas évoquer la citation de Shakespeare telle qu’il la place en introduction de Roméo et Juliette. Car Sid Vicious et Nancy Spungen ont un petit côté amants de Vérone tant leur passion incandescente va virer au tragique en un laps de temps record. Ils se rencontrent en 1977 en pleine vague punk, c’est le coup de foudre, Sid plonge dans l’héroïne que sa maîtresse, accro et prostituée, lui fait découvrir. A partir de là, c’est la descente aux enfers qui terminera comme on le sait par la mort de Nancy poignardée à mort dans la chambre n° 100 du légendaire Chelsea Hotel, l’emprisonnement de Sid accusé du meurtre, son propre décès par overdose quelques mois plus tard alors qu’il vient de sortir de cellule. Il avait à peine 21 ans.
C’est très précisément cette histoire d’amour destructrice que Cox relate, laissant sous-entendre que c’est le socle du mythe Vicious. Et tout le scénario va dans ce sens, de même que les cadrages, le travail de l’image, l’interprétation des comédiens. Au cœur du processus, le pacte suicidaire que les deux amoureux auraient conclu, Sid devant tuer Nancy à sa demande pour ensuite la rejoindre dans l’au-delà en se suicidant. Il faut dire qu’outre la drogue qui la rongeait, Nancy Spungen n’était pas un modèle d’équilibre, ultra violente, instable, colérique, parano, possessive, dépressive, attentant régulièrement à sa vie, et selon sa propre mère schizophrène.
Pareil caractère associé à celui du fils maudit du punk, ça ne pouvait que finir mal. Cox scrute cette décomposition, aussi bien physique que sociale, reflet relativement fidèle de la réalité du mouvement, si l’on en croit les biographies, nombreux livres consacrés au punk, notamment Apathie for the devilde Nick Kent. Le film est d’autant plus malsain et poignant que les acteurs développent un jeu ambigu, dont le romantisme ne dissimule jamais le vide existentiel, la folie à l’oeuvre, la brutalité soudaine, sans compter le pourtour, industrie musicale et média confondus qui exploitent cette vacuité sans vergogne.
Gary Oldman s’impose d’entrée de jeu, interprétant lui-même les morceaux du répertoire, adoptant la tournure du parfait junkie dont il s’est imprégné en lisant Burrough et Quincey, en rencontrant la mère de Vicious pour en savoir plus. Face à lui, Chloe Webb dépeint une Nancy hystérique et manipulatrice, qui trouve une forme de célébrité dans le sillage de son amant, allant jusqu’à décréter qu’il est les Sex Pistols à lui tout seul, prenant en main une carrière qu’elle va saccager, faisant le vide autour de lui, pour finir exsangue au pied d’une cuvette WC.
La ressemblance est d’autant plus impressionnante que le trait n’est pas forcé, que l’on ne cherche pas à se caler exactement sur les faits, la réalité. La bande originale signée Joe Strummer, The Pogues et Play for Rain parachève le tout, alimentant l’équivoque, soulignant les visages contradictoires de cette période entre énergie formidable et nihilisme sauvage. La question cependant se pose : si Sid Vicious n’avait pas croisé la route de Nancy Spungen, aurait-il survécu ? Aurait-il atteint cette dimension de légende au point d’incarner tout une génération ? On frémit en y réfléchissant tandis que le générique de fin se déroule doucement.
Et plus si affinités