« There’s no business like show business » clame la chanson. Strass, plumes, paillettes, tournées, public en délire, groupies enamourées … on se laisse facilement embarquer dans cette dolce vita de façade. C’est ainsi que le jeune et innocent Scott Thorson va tomber tout cuit dans les draps de Liberace, ébloui par la prestance glorieuse du célèbre pianiste. Leur idylle durera cinq ans, Scott y laissera pas mal de plumes, mais en fera un best seller, Behind the candelabra, qui inspirera à Steven Soderberg un téléfilm flamboyant, My life with Liberace.
Ma Vie avec Liberace, donc. Un conte de fée homo, qui va très vite glisser dans le glauque, car le grand artiste est pour le moins complexe. Capricieux, égocentrique, dévorateur, obsédé sexuel, nous le voyons doucement phagocyter la vie de ce jeune amant ébloui, tout frais sorti de sa campagne, et nullement armé pour affronter les rigueurs de l’industrie du spectacle, encore moins le caractère tortueux de cette star adulée. Le pauvre Scott, après avoir été habillé en mode Liberace, découvre les drogues dont son compagnon raffole avant de subir les opérations chirurgicales nécessaires pour ressembler à l’artiste.
Épris, jaloux, Scott ne recule devant pour satisfaire l’homme qui l’aime, en dépit de l’écart d’âge et d’origine. Mais en vain. Doucement, sûrement, le couple se délite, la star se lasse, jette son dévolu sur un autre, et Scott malgré tous ses efforts sera expulsé de cette existence aussi vite qu’il y aura pénétrer. Pincement au cœur devant cette montagne d’égoïsme, la violence d’une relation qu’on voit se détériorer progressivement, dont on sait dés le début qu’elle est promise à l’échec. Scott n’a-t-il pas été prévenu par l’ex-amant dont il a pris la place, au moment où celui-ci est fichu à la porte ?
Dés le début donc, Soderberg annonce la couleur, c’est d’une séparation qu’il s’agit, qui conclut une vie à deux qui est en fait une vie avec Liberace. L’amant de rencontre devient un compagnon fidèle, un soutien, un double, un enfant, un esclave. Et c’est cette relation de domination que le réalisateur de Sexe, mensonges et vidéo autopsie patiemment, plaçant de loin en loin les indices de la tension, de la décomposition affective. Le tout prend corps dans une Amérique seventies, où l’homosexualité commence à peine à s’imposer. Liberace, jamais, n’admettra préférer les garçons. Pire, il s’inventera des idylles avec des chanteuses et des actrices pour camoufler ses attirances.
Par ailleurs véritable bête de scène, il sacrifie tout à cet art qui l’a propulsé au rang de vedette internationale, a construit sa fortune, fait de lui un people. Et semble lui donner tous les droits y compris celui de séduire, d’accaparer et d’abandonner, en reprenant ce qu’il a donné. Pour planter pareille personnalité, il fallait une carrure, que Soderberg détecte chez Michael Douglas. Et il faut dire qu’il a visé très juste, car sa prestation est proprement ahurissante, jusque dans la voix, le port de tête, la manière de poser les mots, les souffles. Face à ce monument, Matt Damon compose un Scott Thorson dépassé par ses sentiments, emporté par ce tsunami emplumé.
Le duo est époustouflant, du début à la fin, jusque dans les affrontements, les crises de jalousie, les élans amoureux, les pires vacheries que peuvent se dirent deux amoureux en colère, le tout dans des costumes resplendissants signés Ellen Mirojnick, des décors féeriques et grandiloquents de m’as-tu vu. La passe d’armes met rapidement en évidence la dureté de la société américaine, hypocrite, menée par l’argent, où l’on s’autorise à tout acheter, y compris les sentiments et leur avortement, où la célébrité permet toutes les outrances, mais certainement pas l’honnêteté du cœur.
Bref c’est du biopic explosif que Soderberg réalise ici, dirigeant un binôme d’acteurs qu’il connaît bien, apprécie, avec qui il a l’habitude de tourner. Et cela se sent, la confiance est là, l’abandon, l’énergie, le rythme, la tension, une forme de démesure, qui restitue une existence, un expérience amoureuse, une époque avec une précision chirurgicale et un sens particulièrement maîtrisé du drame.
Et plus si affinités