L’Institut du Monde Arabe a annoncé l’arrivée de l’été en nous offrant une soirée de musiques et de chants arabes préservés par la transmission orale ainsi que par les notations de Guillaume André Villoteau, qui fit partie de la Campagne ou Expédition d’Égypte de Bonaparte et qui est considéré comme un des pionniers de l’ethnomusicographie. Ahmed El Maghraby a conçu ce projet revivaliste en se plongeant dans la lecture et l’interprétation des croquis, observations et partitions qui constituent, avec une importante collection d’instruments de l’époque, la Description de l’Égypte de Villoteau. Le gramophone n’existant jusqu’en fin du XIXe siècle, il nous faut faire confiance au collectage subjectif d’une oreille qui fut relativement béotienne en ce qui concerne la tradition musicale orientale et à la passation fidèle, intergénérationnelle, côté égyptien de ces airs et accompagnements instrumentaux de temps immémoriaux.
A entendre les musiciens ayant fait le voyage en sens inverse à l’occasion de la création – ou recréation – de cette part du patrimoine local, désormais, universel, le sérieux de l’entreprise ne fait aucun doute. La qualité dont l’orchestre et le chanteur Abdelrahman Aly ont fait preuve, une heure trente durant, était remarquable, cela dans les styles les plus divers. Que le prétexte invoqué, dont l’origine historique coloniale a été passée sous silence pour raison diplomatique ou par pure politesse des artistes conviés, n’ait servi qu’à produire cet événement musical unique, ce serait déjà ça. Certains signes au cours de la soirée tendraient à montrer qu’il ne s’agissait que d’un début ou d’une poursuite de collaboration musicale, culturelle, voire scientifique entre les parties concernées, au Caire comme ici. Plus précisément, entre Ahmed Elmaghraby et tout ou partie de l’ensemble réuni : le chanteur (déjà cité), le flûtiste expert en kawala, Ahmed Abdelghani, le joueur de saz, Abdallah Abozekry, le percussionniste Said Hassan, le frotteur de rababa Mohamed Hassanein, le souffleur d’arghoul, Amin Ibrahim, l’oudiste Ahmed Omran, le violiste d’amour, Pierre-Henri Xuereb, altiste spécialisé en cette viole également qualifiée de grecque ou de rom, munie de six cordes mélodiques « mobiles » (Villoteau) et de six « stables », vibrantes, résonantes, « sympathiques » sans l’usage de doigté ou de l’archet, en laiton.
Après que les deux groupes de musiciens (l’un, côté jardin, uniformément vêtu d’une djellaba anthracite et d’un turban immaculé, l’autre, à cour, en tenue de ville, costume de soirée et en cheveux) se sont accordés sur le la de l’oud, nous a été offert un premier morceau instrumental. Une brève introduction au saz, redoublée par l’oud, augmentée graduellement des autres instruments, accélérée par la pulsation du tabla, a auguré de la valeur et de l’intensité du concert. Le tempo était vif et la mélodie allègre. Un solo d’arghoul nous a permis de nous faire à la schizophonie de cette flûte à deux becs, à sa diatonie singulière que les esgourdes sensibles auraient le réflexe d’associer au son aigrelet et maigrelet d’un tuyau ébréché. L’intervention au rababa a mis tout le monde d’accord et a apporté une touche lyrique à la composition, ralentissant la vitesse, explorant l’espace terrestre et céleste. Le seul chorus de l’oudiste a conclu avec justesse cette entame de show sous le regard complice et charmé du percussionniste. La partie chantée a pu avoir lieu après l’arrivée du talentueux Abdelrahman Aly qui a laissé s’écouler un nombre pair de mesures, elles-mêmes distribuées en questions-répons, avant de lancer un appel énergique et suffisamment aigu. Le chant est entraînant et des gestes de la main gauche en ornent l’émission tout en la stimulant.
Le deuxième air contraste nettement ; il est plus grave, mélancolique et, comme il se doit, bien plus lent. La voix doloriste éteint par son ampleur les stridences des cordes et les pointus des flûtes à l’octave au-dessus. Une berceuse purement instrumentale sert de transition au reste du programme qu’amorce une chanson soufie bien plus ardente et distinctement articulée. Ont suivi deux airs joyeux, ironiquement incarnés par le groupe en son entier, qui nous ont procuré un long moment festif. Ahmed Abdelghani a alterné le jeu avec la flûte longue, tenue presque comme une traversière, et la courte. Il a produit un solo d’anthologie, comme possédé par le duende et a obtenu la permission d’introduire la chanson qui a succédé, quitte à se trouver à bout de souffle. La plus mélancolique des mélopées a alors retenti dans une salle captivée et ayant déjà marqué son contentement à plusieurs reprises, en même temps que le rythme en frappant des mains. Une marche militaire, mimant ou parodiant celles des grognards du désert a permis au chanteur de faire une pause courte mais méritée. Sur une rythmique plus complexe a pu alors se détacher un chant puissant, nostalgique, intemporel. Le joueur d’arghoul a fait bourdonner son bidule, qui a pris les accents de bagpipe ou de biniou, plus plaisants à l’ouïe et quasiment euphorisants. Sous les applaudissements, Abdelrahman Aly a interprété un chant d’adieu puis a salué chaque membre de la confrérie musicienne sous une forme slammée.
Et plus si affinités :