La Bibliothèque-musée de l’Opéra, cheval de Troie de la BnF à Garnier, présente, du 19 juin au 16 septembre 2018, l’exposition Picasso et la danse, conçue par Béranger Hainaut et Inès Piovesan, qui prend le relais de celle ayant eu lieu au Mucem. Plus modeste que les exhibitions phocéennes de la Vieille Charité et du Musée des Civilisations, celle de Paris nous a semblé plus pointue, malgré l’accrochage de deux ou trois œuvres quelque peu hors sujet (on pense aux corridas, que l’on associerait à la thématique du minotaure plutôt qu’à la danse) et l’absence du rideau de scène de Parade.
Les costumes des managers du ballet Parade, qui accueillent le public, diffèrent de ceux montrés au Mucem. A Marseille, les commissaires avaient, à juste titre, rappelé l’apport du futuriste Fortunato Depero qui avait proposé au peintre cubiste des solutions pratiques pour réaliser ces sur-marionnettes. Ici, les carcans de tissu et de carton n’ont pas le clinquant, l’aspect flambant neuf de ces derniers, mais ayant été portés lors de la reprise par la troupe de la prestigieuse institution en 1979, ils en ont déjà la patine et une valeur historique. De même, les éléments relatifs au ballet Pulcinella (1920) sont non seulement bien trouvés mais très astucieusement agencés. Et il est loisible de constater que le ballet Mercure (1924) s’inscrit dans la révolution plastique de Parade (1917) qui innovait avec des collages tridimensionnels s’animant sur scène. On a la sensation que la scénographie et les mannequins de Mercure sont réduits à des à-plats abstraits, détachés de toute réalité, voire de toute « surréalité ». Ils jouent le rôle de signes.
Si l’Icare de Lifar nous touche moins en raison sans doute d’un néo-classicisme pompier, les documents de sa reprise à Garnier avec, dans le rôle-titre, Attilio Labis, et les beaux tirages photographiques de Roger Pic méritent le coup d’œil. A propos de photos, les clichés connus de Massine dans Parade sont complétés par des portraits de danseuses des Ballets Russes de la même époque – la future Mme Picasso, Olga Khokhlova, étant déjà « croquée » par l’artiste. Trois instantanés montrent aussi le peintre dansant. D’abord dans son atelier, sautillant seul et, en quatrième position, recevant de Jacqueline une leçon de danse classique, puis dans une rue de Juan-les-Pins, esquissant un pas de danse espagnole.
Enfin, le geste pictural lui-même, l’action painting de Picasso, pourrait-on dire, est fixé pour l’éternité par les photos prises par Gjon Mili en 1949 avec la technique de la pose longue. Le dessinateur passe du trait continu, sûr de lui, sans repentir, prouesse calligraphique se donnant la contrainte de ne jamais lever le crayon, geste aussi fluide qu’un enchaînement chorégraphique, ayant la virtuosité du « trait de génie » d’un Matisse que Cocteau tenta en vain d’imiter, à la dématérialisation graphique, autrement dit, à la peinture de lumière. La photo garde la trace de l’acte éphémère, ontologiquement proche de celui du geste dansé. Par ailleurs, les photos de Mili annoncent Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot (1956).
L’expo présente la danse dans tous ses thèmes et variations. Aux techniques, manières, époques les plus connues de Picasso (cf. les deux magnifiques costumes sous vitrine pouvant évoquer les périodes bleue et rose) viennent s’ajouter des procédés rares, quasiment inédits. Le Grand nu dansant de 1962 qui sert d’affiche à la manifestation en est un bel exemple. Cette admirable estampe d’une danseuse sculpturale, en appui sur sa jambe gauche, se détachant en ocre du fond noir comme les motifs des vases grecs, les volumes et les masses corporelles étant suggérés non par le velouté de la peinture mais par la finesse des lignes courbes et claires, comme dans les gravures expressionnistes ou les bois sculptés africains, fait la synthèse d’une vie d’artiste plasticien. Et l’effet d’un choc visuel.
Et plus si affinités
http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/expositions/f.picasso_et_danse.html
https://www.operadeparis.fr/visites/expositions/picasso-et-la-danse