Partant du meurtre homophobe d’Ihsane Jarfi près de Lièges en 2012, fait divers qui a traumatisé la Belgique, le metteur en scène suisse Milo Rau interroge les représentations du réel et l’absurdité du crime, entre théâtre documentaire et geste engagé : un choc !
Représenter la violence ordinaire
Puissante, la pièce de Milo Rau l’est à plus d’un titre, tant dans la manière dont elle nous interpelle en tant que spectateur sur notre capacité à agir et sur le voyeurisme qui peut motiver notre démarche, que dans la façon de représenter la tragédie dans ce qu’elle a de plus abject et insensé. Car ce faits divers qui a bouleversé il y a quelques années la Belgique, prend ses racines dans une violence ordinaire, commise au hasard, à tel point qu’elle en devient insupportable. Une violence qui ne contient aucune forme d’idéologie.
Seule reste une question lancinante : quel sens donner à la vie, et à la mort si au final il n’y a que la souffrance? C’est en partant de cette interrogation que Milo Rau a construit sa pièce, qui est aussi le début d’une série consacrée aux « histoire(s) du théâtre » de la même façon que Jean Luc Godard a fait sa série de films « histoire(s) du cinéma ». Ce premier volet qui sera suivi de 9 autres créations de différents auteurs, a été proposé à Avignon où la pièce a bouleversé. Non seulement dans la représentation brut du crime mais aussi par ce qu’elle interroge de notre rapport à la violence et à la mort.
Un manifeste radical
Milau Rau et ses acteurs ont opéré un important travail documentaire, rencontrant les proches de la victime, mais aussi l’un des tueurs aujourd’hui en prison. Cela provoque un télescopage constant entre le réel et le plateau, si bien qu’on en finit de ne plus savoir où débute la représentation et quand elle s’arrête. Le metteur en scène fait également le choix d’opter pour différents points de vue (comme il l’avait fait dans Five Easy Pieces, une pièce créée en 2016, où il interroge déjà la représentation de la violence, faisant jouer l’affaire Dutroux par des enfants). Pour cela, il fait appel à des acteurs non professionnels. C’est l’une des règles qu’il s’est fixé dans le manifeste radical qu’il a écrit à Gand (dont il dirige le théâtre NTGent) comportant dix règles dont celles d’avoir au moins deux langues parlées sur le plateau et une scénographie de 20 m3.
Pour Milo Rau : « L’idée, c’est de faire du théâtre qui puisse être global, et qui soit inclusif, notamment à travers le mélange des acteurs et non-acteurs. C’est quelque chose que j’essaie ici de codifier tout en faisant une pièce qui démontre cette codification ». L’autre volet de cette tragédie est l’interrogation autour de la façon d’être un acteur sur scène. Un long monologue ouvre la pièce sur le rôle de transmetteur du comédien, « tout comme le livreur de pizza, ce qui compte au final ce n’est pas le livreur mais la pizza » ironise Milo Rau. Mais ce qui frappe encore plus c’est la métaphore du pendu, développée par un autre metteur en scène Wajdi Mouawad, qui ouvre une brèche abyssale sur les limites du jeu théâtral, tout comme il interroge à travers cette histoire les limites de la narration.
Où s’arrête le jeu ? Où commence la vraie vie ? On emporte cette pièce longtemps après le départ de la salle. Comme pour continuer de filer la métaphore.
Et plus si affinités
https://www.festival-automne.com/edition-2018/milo-rau-la-reprise-histoires-du-theatre-i