A l’approche de Noël, la sortie de l’intégrale Kaamelott en DVD et Blue Ray va forcément ravir les fans qui aimeraient bien découvrir les six Livres de la saga doublés de bonus et fioritures multiples au pied du sapin. Mais peut-on réduire cette série anthologique à un simple phénomène de réédition, sans en trahir la véritable portée ? En revisionnant l’ensemble de la geste arthurienne version Alexandre Astier, la réponse s’impose comme une évidence : NON !
Phénomène culturel
Il faut bien l’avouer, Kaamelott a tout du phénomène culturel d’envergure : en s’attaquant au mythe du Graal, Astier et sa smala se saisissent d’un élément fondateur de notre civilisation pour lui filer un redoutable coup de pied au cul et nous rappeler que l’héroïsme est chose complexe, n’en déplaise aux troubadours. A cheval entre Chrétien de Troyes et les Monty Python, Kaamelott défriche une troisième voie, comique certes pour ne pas dire carrément burlesque ( nous ne comptons plus les crises de fou rire aux larmes, sur les quatre jours de visionnage), mais également plus sombre, plus introvertie, voire franchement angoissante par moments.
Sans jamais être caricaturaux, Arthur, ses chevaliers, sa famille, ses maîtresses et tous les autres zozos croisés dans cet écosystème sociétal digne d’un Georges Duby affichent cependant des personnalités fortes, pour le moins explosives, mais volontiers nuancées par le doute, le questionnement. Ni positifs ni négatifs, toujours attachants, les personnages de cette fresque échevelée nous parlent, et pas uniquement pour nous faire rire, loin s’en faut. Pour nous faire réfléchir par contre, il y a du level. Peine de mort, torture, homosexualité, féminisme, esclavage, fanatisme, ignorance, maltraitance, tout y passe des travers humains, pour nous renvoyer dans la gueule les dérives dont tous nous sommes coupables.
En mode Zola !
Et au passage, s’interroger sur la difficulté de gouverner, de fédérer, de mener à bien un projet commun à l’échelle d’un royaume et pour l’édification de tous, quand personne n’arrive à s’entendre, et qu’en prime on court après un hypothétique Graal, dont nul n’arrive à seulement imaginer l’aspect, encore moins la finalité. Bref, pour se former aux arcanes du pouvoir, il y avait Sun Tse (d’ailleurs cité dans la dernière saison) et il y a Kaamelott, qui, reconnaissons-le, a le mérite d’être compréhensible au premier regard et en plus facilement mémorisable, merci les punchlines … et un scenar sidérant de précision !
Là aussi il y a du level, en mode Zola, carrément ! Car si l’épopée débute sur un format court à la Caméra café (autre opus incontournable de la culture d’entreprise dont Kaamelott a pris la relève), progressivement et le succès aidant, Astier s’affranchit de ces codes pour se tourner vers une narration plus élaborée, plus complexe, où tous les éléments se recoupent, se complètent, se dynamisent les uns les autres, dans un gigantesque puzzle, un jeu de pistes ciselé comme une horlogerie de luxe. Rougon Macqart à la bretonne ? Comédie Humaine proto médiévale ? C’est l’idée, et d’épisode en épisode, tout fait sens, jusqu’aux dernières images, qui nous laissent sur notre faim.
Une dramaturgie d’envergure
Par delà les répliques phares, les expressions fleuries, les insultes à se rouler par terre, Astier nous offre un récit épique, prémédité très probablement en amont des premiers épisodes, et qui rappellent par leur foisonnement et leur logique mathématique, les grands drames historiques d’un certain Shakespeare. C’est donc de la grande ouvrage ici déployée, une dramaturgie d’envergure, qui piège initialement les spectateurs avec son humour potache pour progressivement les attirer dans des péripéties plus alambiquées, où la psychologie torturée des protagonistes transparaît pour tisser une toile tragique, un canevas haletant.
Une série donc mais qui fait jouer tous les rouages du théâtre, avec des situations récurrentes, au lit, à table, dans le bain, qui force les héros à se confronter dans un espace confiné où ils stagnent et doivent tenter de communiquer, avec bien des difficultés. Les séquences en extérieur se multiplient sur la deuxième partie de la saga certes, mais les conflits n’en demeurent pas moins latents, envenimés par l’apparition de figures de traîtres, de corrupteurs tels Méléagant, parfait Iago venu des ténèbres pour semer le chaos.
L’Illustre Théâtre ?
Et pour porter ce monument d’écriture, une troupe de théâtre bien sûr, comme on n’en a plus connu depuis l’Illustre Théâtre de Molière ? Il y a de ça, dans le côté bateleur, les premiers épisodes tournés avec les moyens du bord, les références aux pupi, au théâtre, aux grands auteurs latins …. Socle fondateur de la série, la smala Astier, parents, enfants, petits-enfants, copains … tous se connaissent bien, savent jouer ensemble, se donnent la réplique comme on joue au ping-pong, tandis qu’Astier dirige ce petit monde avec fermeté et souplesse, rigueur et fantaisie. Et il faut avouer qu’il y parvient bien mieux que son personnage, pourtant rompu à l’éloquence et éduqué mais dépassé par une mission qu’il subit.
Astier, lui, ne subit pas, et la série d’ouvrir ses ailes de saison en saison, avec toujours plus de moyens … et de comédiens qui viennent se joindre à la troupe : Antoine de Caunes, Patrick Chesnais, Carlo Brandt, François Rollin, Valérie Benguigui, Anouk Grimber, Alain Chabat, Pierre Mondy, Manu Payet et consort, des interprètes venus d’horizons différents mais qui ici s’accordent en parfaite harmonie pour faire rire, faire peur, faire pleurer … et prendre un plaisir palpable. Effet de troupe, casting superbe, aucune fausse note dans le jeu de chacun … Kaamelott se cale dans les traces du remarquables succès Les Rois Maudits qui en 1972 avait mobilisé les têtes d’affiche de la Comédie Française pour conter les prémisses de la Guerre de Cent Ans.
De Kaamelott, il y aurait beaucoup plus à dire, que d’autres narrent dans leurs articles, leurs études, et il n’en manque guère car les six Livres font date, en proposant une œuvre construite, qui mêle classicisme et innovation, discipline, audace et humour. On attend la version filmée, qui tarde, manque de moyens probablement, mais certainement également car il faut laisser mûrir acteurs et public pour suivre l’évolution d’Arthur exilé, reclus dans la villa Aconia, de Lancelot métamorphosé en tyran, des autres chevaliers forcés à la clandestinité. Nous voici comme eux contraints à la patience, en priant qu’un jour on touche au terme glorieux de cette quête, dont, pauvres spectateurs nous subissons le rythme. Vu le niveau de qualité déjà atteint, sincèrement, cela vaut le coup d’attendre encore un peu pour saisir ce Graal culturel et en profiter vraiment.
Et plus si affinités