Tosca … ce n’est pas la première fois que nous traitons de l’opéra de Puccini, mais en l’état la lecture qu’en a fait Christof Loy pour l’Opéra National de Finlande fait date par sa brutalité et sa justesse, en écho avec une actualité sordide.
Reprenons : cantatrice italienne réputée et adulée, Floria Tosca est follement éprise du peintre Mario Cavaradossi, … éprise et jalouse. Soupçonnant son amant de la tromper avec une mystérieuse comtesse romaine, elle le balance à Scarpia, le chef de la police, un véritable despote doublé d’un fanatique religieux et d’un obsédé cruel. Problème : Mario ne la trompe guère, il cache juste un opposant politique. Arrêté, il est torturé sous les yeux de sa belle, qui, atterrée, dévoile où se cache le clandestin.
Reste à sauver Mario de l’exécution. Tosca, malgré sa répulsion, accepte de se donner à Scarpia qui la convoite depuis longtemps, en échange de la grâce de son aimé et d’un sauf conduit leur permettant de fuir ; au moment de s’abandonner à son tortionnaire, elle le poignarde, rejoint Mario dans les geôles du château Saint Ange, assiste à sa mise à mort qu’elle croit feinte, se suicide en sautant du haut des remparts quand elle s’aperçoit qu’il a vraiment été liquidé. Fin de l’histoire.
Et un chef d’œuvre de suspens et d’intensité, qui oppose l’artistique et le politique, la diva et le sbire, dans ce mythique acte II qui finit dans le sang et les ténèbres. Il ne fait pas bon être créatif sous la botte de pareil tyran, peu importe l’époque. Mêlant costumes du XVIIIeme siècle et tenues contemporaines, le metteur en scène Loy donne ainsi à voir la récurrence de l’oppression, la résurgence de la violence étatique face à l’individu. Dans ce qu’elle a de plus atroce.
Le deuxième tableau confronte ainsi un Scarpia dépravé et psychopathe avec une Tosca avilie et déphasée, totalement dépassée par la tourmente qui la saisit. Soulignons l’exceptionnelle interprétation de Tuomas Pursio et Ausriné Stundyté qui font de ce passage un réel bras de fer, aussi physique que psychologique. Pour le coup Scarpia apparaît comme le monstre qu’il est, dévoré de fantasmes de domination, fasciné par le pouvoir qu’il exerce sur cette femme, incapable d’imaginer qu’elle va le terrasser. Tosca ici est crucifiée, soumise au viol de son corps et de sa conscience.
Elle devient l’incarnation de toutes celles qui subissent pareille horreur. La captation de l’opéra restitué sur ARTE, par les gros plans réalisés, permet de saisir l’intensité du jeu de chaque interprète, la manière dont ils sont éprouvés dans leur chair, l’abandon total au personnage, la dilution dans une situation insoutenable. Le chantage auquel Tosca est ici soumise s’avère le fruit de l’abjection la plus complète, la plus assumée. Et l’héroïne de sombrer progressivement, choquée, profondément perturbée dans ses idéaux, sa perception du monde. Dans ce contexte, le Vici d’arte » prend une résonance funeste, particulièrement amère, d’une beauté poignante.
Ce calvaire foudroie Tosca et son peintre chéri, les détruit en 24 heures et pour rien. Bonaparte sera victorieux, annulant la valeur de ce sacrifice qui pourrait survenir partout où règne la dictature et la barbarie. Ainsi représentée, la Rome de Loy pourrait être celle d’un Vatican rétrograde ou de Mussolini, plus généralement le reflet de ces pays où l’on écrase sans pitié la moindre créativité comme refuge ultime de liberté. Cette Tosca est donc à voir de toute urgence car elle introduit cette mise en abîme, et la tragédie des deux amants n’en est que plus intolérable.
Et plus si affinités
https://www.arte.tv/fr/videos/084162-000-A/tosca-de-giacomo-puccini/