Ils étaient tous deux des patrons les Renoir, Pierre-Auguste et Jean. Le premier dans le domaine de la peinture, option impressionniste, le second, fils du premier, dans celui du 7ème art. L’histoire de leur relation, celle d’un fils à son père, celle d’un créateur à un autre créateur, se nourrit de nombreux fantasmes, bien souvent suscités par le fils prodige, qui consacra à son père un livre qui fit date : Renoir par Jean Renoir paru en 1962.
C’est cette relation que l’exposition Renoir père et fils, Peinture et cinéma, jusqu’au 27 janvier 2019 au Musée d’Orsay, et le catalogue qui la complète explorent à travers le dialogue fécond et parfois paradoxal de ces deux monstres sacrés. Paradoxal car les relations directes entre le père et le fils furent limitées. Famille bourgeoise fin 19ème oblige, parent et enfant se rencontrent peu au quotidien et parlent encore moins. Néanmoins les longues séances de peinture où papa croque son fils chéri ont tissé des liens indéfectibles et fructueux pour l’histoire de l’art.
Mobilité / Immobilité
Entre ces deux-là tout est question de mobilité et d’immobilité. Dans la vie et dans l’art. L’immobilité de l’enfant-modèle, tenu de ne pas bouger quand Renoir le peint au bras de sa mère, en adolescent-chasseur ou en céramiste. L’immobilité de Renoir Père aussi dont seules les mains s’activent à la tâche. Immobilité qui devient totale face à une paralysie progressive particulièrement éprouvante. À cette polyarthrite rhumatoïde invalidante répond en écho la claudication du fils, héritage d’une blessure de la Grande Guerre. Une mobilité chancelante dirons-nous.
Dans l’art, c’est différent. Le peintre n’a jamais vraiment cherché à capter le mouvement. Quelques œuvres tentent vainement de saisir l’agitation du monde tel Le Bal du Moulin de la Galette, mais sans plus. Pour le fiston, c’est justement le mouvement de l’image qui le grise. Découvrant le 7ème art via son jeune frère, il s’amourache du nouveau média en dévorant avec gourmandise tous les Charlot. Dès 1924, il se lance dans la réalisation, poussé par une ambitieuse jeune femme.
Catherine Hessling, une femme en commun
La carrière de Jean Renoir dans le cinéma muet est associé de façon indélébile à la présence sur les écrans de sa jeune épouse et vedette : Catherine Hessling, star des années folles qui disparaîtra des radars quand elle divorcera de son époux de réalisateur. Jean, lui, deviendra, la décennie suivante, l’immense artiste célébré que l’on sait. Catherine Hessling, de son vrai nom Andrée Heuschling, fut le modèle préféré de Pierre-Auguste Renoir entre 1915-16 car elle « repoussait encore moins la lumière que celle de tous les modèles qu’il avait eu dans sa vie ». Comme l’a montré le récent film de Gilles Bourdos (Renoir, 2013), Andrée était une jeune femme très ambitieuse, désireuse de devenir le pendant d’une Garbo en France.
À la mort de Pierre-Auguste Renoir, elle épouse son fils Jean, l’exhortant à abandonner la céramique pour investir son hypothétique talent et sa réelle fortune dans le 7ème art. Avec génie, elle s’invente alors une personnage glamour et fait preuve d’un talent hors-norme : « Parmi les nombreuses qualités de Catherine, il y en avait une qui me fascinait : c’était son sens innée de la féerie. Je vous ai parlé de la stylisation de son jeu et de son maquillage. En vérité, ses gestes de pantin et son apparence ressortant de la pantomime, n’ajoutaient rien à son irréalité. Même revêtue d’une robe banalement à la mode et sans maquillage du tout, elle ressortait de la fantasmagorie. » (Jean Renoir – 1972)
Une somme d’informations
Parmi les points communs du père et du fils nous pourrions encore citer la céramique et la littérature de la fin du 19ème siècle que chérissait la famille (Zola, Maupassant, Mirbeau…). Le catalogue de l’exposition d’Orsay, en 11 articles aussi référencés que passionnants, décode ainsi ces points de contact entre l’œuvre du cinéaste et du peintre qui vont bien au-delà d’un jeu d’influence et de transposition.
A travers des tableaux, des photographies, des costumes, des affiches, des dessins, et des documents, pour certains inédits, il explore des thèmes (le rôle du modèle féminin par exemple) et des géographies (la Seine, Montmartre, le Midi) communs à deux œuvres que réunissent peut-être plus sûrement encore un goût de la liberté et une profonde humanité. La lecture de ce bel ouvrage vous donne la furieuse envie de courir à l’exposition Renoir père et fils et de revoir encore et encore La règle du jeu et La Grande Illusion.
Et plus si affinités
https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/art/renoir-pere-et-fils