Enfances, Autoportrait d’une psychanalyse, Lorsqu’un enfant paraît, Psychanalyse et Pédiatrie … de Françoise Dolto, je conserve surtout en tête ce complexe du homard qui m’a soudainement fait comprendre les méandres de mon adolescence en mutation. Un langage clair, limpide même, pas de non dits, une grande volonté d’honnêteté, de simplicité pour mieux désamorcer les tragédies du quotidien, mieux cerner le drame à l’œuvre dans l’inconscient et en neutraliser les effets pervers.
Devant tant de maîtrise tranquille, de détachement, de quiétude, on s’interroge : être Dolto est une chose … mais comment le devient-on ? Une question essentielle que Martine Fontanille tente de solutionner avec Quoi de neuf Dolto ? Une heure d’introspection partagée, sourire aux lèvres et malicieuse candeur, alors que Karine Dron prête son corps et sa voix à une Françoise Dolto aux accents autobiographiques, qui fouille en elle pour déterrer les signaux faibles de sa mutation psychanalytique.
Et en profite pour repasser son enfance au peigne fin, évoquant la mort de sa petite sœur, la dépression de sa mère, la venue salvatrice d’un frère … des drames qu’elle aborde avec la pertinence de l’enfant surdoué qui interroge tout, détecte les mensonges des adultes, souligne leur violence inconsciente : « c’est dangereux une imagination pareille », « je crois que tu es un monstre » « elle est complètement folle » … Françoise, depuis le plus jeune âge, en a pris plein la tête.
Au secours, Boris Cyrulnik ? C’est une résiliente que nous voyons démonter le bureau des apparences pour dévoiler les rouages de l’inconscient. Une résiliente mettant doucement mais fermement à plat les mécanismes qui ont failli la broyer pour mieux construire sur un terrain enfin déblayé des perceptions parasitaires léguées par nos chers parents et leurs angoisses, elles-même héritées de leurs parents qui les tiennent eux aussi de … Tout passe par les mots, et le langage doit être décrypté pour comprendre le dessous des cartes.
Médecin d’éducation/ psychanalyste même combat : difficile en écoutant Karine Dron dérouler cette histoire de ne pas se retrouver dans ce parcours qui sait réveiller les blessures profondes comme les petits bonheurs. Le concept de la mort, fondateur de l’individu, devient finalement moins important à saisir que la gestion de ces heurts perpétuels qui peuvent laisser des cicatrices indélébiles. Avec beaucoup de retenue et d’intelligence, Martine Fontanille orchestre ici cette conférence aux allures de confidence, où Dolto la grande dialogue avec la petite Françoise sur du Gershwin.
On en ressort plus humble, plus attentif, plus à l’écoute, animé de cette curiosité infinie qui égaya la psychanalyste comme un second souffle sa vie durant. On en ressort aussi secoué, avec des questions sur soi et les autres, le sentiment d’un déjà vu, déjà vécu. Attention : cette pièce en apparence bonhomme est comme le bureau qui trône au milieu de la scène. Elle cache en son sein les engrenages redoutables de l’assimilation et du souvenir, sa tournure, son style n’ont rien d’anodin.
Et la petite voix stoïque de Karine Dron n’a pas son pareil pour vous terrasser en vous assenant la mémoire de traumatismes dans lesquels vous pourriez bien vous refléter. C’est peut-être ce qui dérange le plus dans ce discours : Dolto a fait la paix avec elle-même comme avec les autres, elle neutralise l’agressivité, explique-t-elle, pour mieux l’observer, la circonvenir, quitte à sembler un véritable ovni pour son entourage. On l’envie de tant de distance, on se demande si elle est sincère, si elle feint, si par instant elle est rattrapée par le chagrin, la peur, la colère ou si elle a véritablement dépassé ce stade pour en faire une force.
Cette heure de conférence repose sur cette ambiguïté, alimentée par le sourire parfois figé de l’actrice, la lueur de son regard intense, sa manière de manipuler ses lunettes, d’enclencher la roue du souvenir et du raisonnement. « Je crois que tu es un monstre » disait sa mère à une Françoise dévorée de culpabilité après la mort de sa petite sœur … un monstre, fantastique, terrible, anormal, extraordinaire … ou simplement humain ?
Et plus si affinités
http://www.folietheatre.com/?page=Spectacle&spectacle=294&PHPSESSID=9756b91b374020990fe9c88d745a1349
http://www.compagnie-haute-tension.com/index.php/spectacles/quoi-de-neuf-dolto