Dix-septième roman de la saga des Rougon Macquart, La Bête Humaine, publiée en 1890, permet à Zola d’explorer l’univers des chemins de fer, composante essentielle de la Révolution industrielle telle qu’elle s’épanouit durant le Second Empire. Et pour donner du corps à son enquête, l’auteur développe plusieurs intrigues criminelles qui reflètent la violence de ce monde sans pitié. Ce faisant il accouche d’un polar qui prolonge l’atmosphère déjà délétère de Thérèse Raquin. C’est cette ambiance que Dobbs et Giorgiani choisissent de mettre en lumière dans leur adaptation en BD.
Gommée donc la quête naturaliste et sociologique initiale, les grandes descriptions, l’introspection constante des personnages, le scénario se concentre sur l’esprit criminel qui rôde de bout en bout dans le roman : l’assassinat de Grandmorin par Roubaud et sa femme, les viols commis par ce même Grandmorin, le long empoisonnement de tante Phasie par son époux, les pulsions meurtrières de Lantier qui ne peut approcher une femme sans avoir envie de l’éviscérer, le geste funeste d’une Flore dévorée de jalousie qui provoque le déraillement d’un train pour détruire sa rivale, son suicide spectaculaire …
Bref c’est une véritable bande de psychopathes qui s’agitent d’une vignette à l’autre sous le trait incisif de Giorgiani, lequel insiste sur les convulsions des corps et des visages, les attitudes outrées, la torture mentale de ces êtres se déchirant avec férocité. Peu de couleurs pour rehausser cette atmosphère poussiéreuse où l’oxygène manque, où les relations se décomposent alors même qu’elles se dessinent. La Bête humaine prend alors le rythme d’un thriller psychologique irrespirable, où chaque protagoniste vrille sur un coup de tête.
La version BD souligne la spontanéité animale et explosive de ces désaxés, la brutalité de leurs réactions, le décalage pervers entre le masque social et la vérité des cœurs. Si le caractère hallucinatoire des descriptions zoliennes manque (notamment la séquence de l’accident de train, proprement sidérante dans le roman), la version dessinée en se concentrant sur le climat meurtrier propose une lecture moderne qui n’est pas à négliger car elle dévoile le sens du storytelling d’un Zola particulièrement inspiré et d’avant garde.
Et plus si affinités