Kompromat : terme d’origine russe désignant un dossier compromettant sur une personnalité publique, politique, culturelle, dossier composé d’informations réelles et/ou fictives obtenues via le chantage, l’espionnage, la corruption et dont on use pour faire pression sur l’individu concerné. Technique favorite des services d’espionnage, notamment soviétiques.
En adoptant ce patronyme, le binôme Vitalic / Rebeka Warrior nous oriente direct dans des voies sombres, un univers menaçant, glauque, retors de manipulation et de pression, de torture et de honte. Mais avec qui sont-ils en guerre, ces deux-là, … hormis eux-mêmes ? Leur premier album Traum und existenz, rêve et existence, en 11 tracks reconfigure la notion de combat psychologique, de lutte intérieure, de fracture mentale, à grand coup de techno métallique comme un métronome industriel, un hachoir mélodique.
Comment vivre avec des failles qui t’enracinent profond dans l’immobilité et la dépression ? « Possession » introduit cette réflexion par un dialogue entre une Julie Lanoe tranquillement installée dans le vide de ses interrogations auxquelles répondent des chœurs d’enfants comme endoctrinés par sa voix. Effrayant, fascinant, malaise immédiat … le style de l’album est posé, entre Giorgio Moroder, John Carpenter, Joy Division, Apoplexie … « Personne ne m’entend quand je crie » scande Julie dans la langue de Goethe, qu’elle maîtrise à la perfection, faisant claquer les syllabes et les sons comme un fouet, à la manière d’une Nina Hagen suave, hurlante, douce, glaciale tout à la fois.
Et l’idiome de devenir un instrument supplémentaire dans la partition d’un Vitalic violent, impitoyable, démiurgique, qui déploie ses ailes sur ce chant épique de l’auto-destruction consentie, voulue, savourée à chaque écrasement supplémentaire. « Niemand » couronne cette poétique grandiose de dérision, dont la décomposition de l’être constitue la colonne vertébrale en fusion. « Je suis une pierre sous une pierre sous une pierre » … attention car cet album est frauduleusement dansant, vous entraînant dans une sarabande folle pour mieux vous étourdir, vous endormir et vous noyer par contre-coup dans un abîme de complexité.
Éloge de la dissolution ? Ensorcellement ? Nihilisme ? D’aucuns ont fait le lien avec la techno berlinoise, Einstürzende Neubauten, les grandes heures de la dark wave … Nous y flairons également, tapi dans l’ombre, le désespoir consenti d’un Daniel Darc quand il signait ses textes Viviane Vog, le somptueux « 13eme section », Taxi Girl à la mode Werther …, l’ombre convulsée de Fassbinder, les mannes rageuses d’un Schubert consumé par la syphilis, composant un dernier Lied en hommage à ses démons intérieurs. Avec pareille mixture, Kompromat arrache la légitimité de son nom avec une colérique puissance, dépassant le cadre d’un marketing plan plan pour tout démolir sur son passage à l’image des dieux de la guerre et du mensonge. Enfin … On avait tant besoin de ne plus croire en l’avenir …
Et plus si affinités