Février 2018 : sidérés par ce que nous venons de visionner, nous chroniquons le documentaire de Erin Lee Carr Mommy dead and dearest produit par HBO. La réalisatrice y relate le funeste destin de Gipsy Rose Blanchard, contrainte par une mère abusive de simuler de multiples handicaps, et qui ne put lui échapper qu’en la tuant. Avril 2019 : la série TV The Act est diffusée sur Hulu, qui raconte ce calvaire en huit épisodes aussi malsains que justes.
Les arcanes funestes d’une relation fusionnelle
Scénarisée par Nick Antosca et Michelle Dean à partir de l’article « Dee Dee Wanted Her Daughter To Be Sick, Gypsy Wanted Her Mom To Be Murdered » que cette dernière écrivit pour Buzzfeed, mise en scène par Laure de Clermont-Tonnerre, The Act prend immédiatement aux tripes. Tandis qu’on plonge toujours plus loin dans les arcanes funestes de cette relation fusionnelle, on pressent, tapie derrière le visage auréolé de grâce de la mère courage soignant son enfant malade avec l’abnégation d’une sainte, le monstre dévorant, le Chronos femelle.
Là où Mommy dead and dearest demeurait dans les limites déjà pénibles d’un true crime sordide, cantonné dans la logique d’une enquête policière et d’une explication scientifique, The Act donne à voir et à sentir par le menu une tragédie au quotidien, les relations d’interdépendance particulièrement complexes qu’ont pu entretenir ces deux femmes dans un climat digne des drames Fin de partie et ede Beckett. Et ce récit résout avec pertinence les questionnements : comment Gipsy a-t-elle pu rester ? Comment a-t-elle pu mentir ainsi ? Comment sa mère a-t-elle pu manipuler son entourage à ce point ?
Un labyrinthe émotionnel et meurtrier
Avec lucidité, humanité, la réalisatrice explore le labyrinthe émotionnel et meurtrier où ses deux héroïnes s’enferrent, sans jamais critiquer ni l’une ni l’autre. Dénuée de jugement, son approche en dit beaucoup sur ce mystérieux syndrome de Münchhausen par procuration dont Dee Dee était atteinte, ainsi que son penchant pour l’escroquerie, le vol, le mensonge. Une tare héritée de sa propre mère et dont Gipsy porte également la marque, elle qui pousse le déséquilibré Nick à tuer pour la sauver. Le tout colle à la vérité de l’enquête jusque dans les répliques, les décors, la voix de petite princesse de la gamine.
L’émotion est aussi palpable que le malaise de cette relation absolue, le désarroi qu’elle engendre et qui perdure par delà la mort. Patricia Arquette endosse le rôle de Dee Dee avec le talent qu’on lui connaît, s’enlaidissant passablement, passant de la douceur à la violence, mieux, faisant de chaque geste de tendresse une menace latente ; face à elle, Joey King campe une Gipsy Rose touchante, soulignant avec subtilité chaque prise de conscience, chaque repli sur soi, chaque tentative désespérée d’échapper à ce martyre, acculée au pire car personne ne l’écoute.
Ne nous le cachons pas, ces huit épisodes sont pénibles à regarder, car ils nous plongent progressivement dans l’état de souffrance et de frustration d’une Gipsy, qui n’arrive pas à fuir. Pire, quand on en vient à désirer la mort de cette mère indigne, l’épisode suivant casse cette volonté en rappelant combien cette dernière fut elle-même une victime. The Act restitue avec succès ce grand huit émotionnel, prenant la dimension d’une moderne tragédie de l’affect qui aurait à coup sûr impacté un Samuel Beckett, un Jean Genêt ou un Bernard Marie Koltès.
Et plus si affinités
https://www.hulu.com/series/the-act-8cc910fe-b59e-46a5-9966-16c4e0ed208d