Commençons la semaine en fanfare avec une série TV décapante, j’ai nommé The Loudest Voice. Ou le parcours de Roger Ailes, qui façonna et dirigea Fox News d’une main de fer dans un gant pas forcément de velours de 1996 à 2016, date de sa déchéance, suite à plusieurs sordides affaires de harcèlement sexuel. Une destinée balzacienne, où le cynisme et l’avidité se complètent sur fond de racisme, de chauvinisme et de misogynie pour modeler un personnage aussi fascinant qu’écœurant. Problème : ce personnage n’est pas le fruit d’une fiction, et, symptomatique d’une certaine mentalité, il a joué un rôle non négligeable dans l’élection de Donald Trump.
Les transformations d’un outil de propagande
A la source de ce projet, l’adaptation de la biographie The Loudest voice in the room de Gabriel Sherman, boostée par les showrunners Alex Metcalf et Tom McCarthy : sachant que le premier a trempé sa plume dans Mindhunter ou UnREAL, et que le second a réalisé, entre autres, le prenant Spotlight, on imagine bien que les sept stances de cette épopée n’ont rien de bucolique. Au contraire, c’est avec un sens consommé du coup de théâtre que The Loudest Voice déroule les conquêtes de Ailes, son ascension financière et sociale, l’étendue de sa puissance, son sentiment d’impunité doublé d’une paranoïa croissante, puis sa chute.
Avec, qui lui collent à la peau, les transformations de Fox News, à chaque soubresaut de l’Histoire. Fox news dont il fait un outil de propagande, crachant sur l’éthique journalistique de base pour se servir de la chaîne afin de construire une Amérique à sa façon. Selon ses valeurs, sa vérité, ses haines. Et des haines, Ailes en a beaucoup, de même que des idées arrêtées sur l’homosexualité, le statut de la femme, le couple, le peuple, le management d’équipe, l’écologie … Certains y verront un entrepreneur made in USA, qui n’a peur de rien quand il s’agit de bâtir son projet, d’autres découvriront un profil de salopard absolument abject et d’une brutalité psychopathe.
Flatter les instincts les plus vils
Car les colères du bonhomme sont aussi spectaculaires qu’inattendues. Quand il ne manipule pas par le verbe et l’affect, avec, reconnaissons-le, une intelligence sidérante, Ailes sait se montrer menaçant, violent à l’occasion, pour obtenir ce qu’il veut. Et cette facette transparaît particulièrement dans ses relations avec les femmes. Qui toutes obtempèrent car fascinées d’abord, malgré son physique et son âge, puis piégées ensuite par ses pratiques de maître chanteur. Jusqu’à ce que l’une d’entre elle dise non et le coince, ouvrant le voie à un déluge de témoignages, ce qui aura raison de lui. Enfin, s’écrit-on, exaspéré … avant de se dire qu’il aura fallu le courage d’une journaliste harcelée pour stopper dans son élan ce type dont les procédés médiatiques étaient depuis longtemps répréhensibles.
Or personne, et surtout pas son patron, le richissime magnat de la presse Rupert Murdoch, n’a pu et voulu le freiner dans sa manipulation de l’information, ses orientations éditoriales extrémistes, ses mensonges constants, sa volonté d’exploiter les peurs et les colères populaires … parce que, ce faisant, il a fait exploser les taux d’audience et ramasser des tonnes de fric. En flattant les instincts les plus vils d’un public qui regardait ses émission par conviction ou par réprobation, peu importe. Et c’est là, outre la flamboyante interprétation de Russell Crowe transformé pour l’occasion, à placer au même stade que celle de Christian Bale dans Vice, que réside le véritable intérêt de cette série aussi juste que nécessaire.
Parce qu’elle pointe du doigt les dérives d’un média privatisé et côté en bourse, où les règles journalistiques primordiales sont bafouées à dessein et sans jamais que le public en soit averti. Une fraude, il n’y a pas d’autre mot. D’épisode en épisode, le scénario démonte cette mécanique pernicieuse, cette logique de la propagande à l’œuvre, avec comme point d’orgue, les attentats du 11 septembre, et comme résultat … l’élection d’un individu aussi contestable que Ailes. A la lumière de l’actualité, The Loudest voice échappe à sa fonction initiale de biopic pour donner à voir les dérives médiatiques actuelles et appeler les foules à toujours plus de méfiance et de retenue. La leçon est primordiale, le caractère pédagogique renforcé par l’évocation des individus qui favorisent cette dérive. On en ressort édifié … et atterré.
Et plus si affinités
https://www.mycanal.fr/series/the-loudest-voice/h/11911740_50001